vendredi 2 janvier 2015

Les (très) grands nombres

Quand on parle d'une quantité colossale, on utilise généralement les mots « million » ou « milliard » qui représentent respectivement les nombres 1 000 000 et 1 000 000 000. Pourtant ces nombres sont encore insignifiants comparés à ceux qui vont suivre.

Si nous prenons un million de milliards nous obtenons un billiard. Par exemple, la distance qui nous sépare du centre de notre galaxie est de 256 billiards de kilomètres.
Ce qui n'est pas très grand, si on la compare à la distance qui nous sépare de la Grande Ourse, environ 18 trilliards de kilomètres soit 18 mille milliards de milliards de kilomètres.


Googol et Googolplex
Dans les années 40, Edward Kasner (USA) publie un livre «Mathematics and the Imagination» dans lequel apparaît le mot Googol. Ce mot ne serait pas inventé par Kasner mais il l’aurait repris de son neveu âgé à l’époque de 9 ans.

Le Googol est un 1 suivi de 100 zéros. Jusque là, rien d’exceptionnel puisqu’un Septendécillion est plus grand.

C’est le Googolplex qui nous intéresse : un 1 suivi de Googol zéros, pour être plus explicite :
un 1 suivi de 10 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 zéros !!!

En supposant qu’on écrive sans interruption 3 chiffres par seconde, il nous faudrait environ 100 Quindécillions d’années pour retranscrire intégralement ce nombre, soit 100 milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards d’années !!! Même si l’espérance de vie est en augmentation, il ne faut pas rêver ! En fait, aucune quantité physique ne peut atteindre ce nombre, autrement dit : il ne sert à rien !
D'autant plus qu'aujourd'hui les grands nombres se notent en écriture scientifique à l'aide de puissances de 10 qui suffisent amplement aux scientifiques !

Pour atteindre le gogol, il va falloir chercher des choses plus grosses ! Heureusement la physique de l’infiniment petit et de l’infiniment grand vont nous aider. Il y a environ 10^{23} molécules d’eau dans un verre d’eau, à peu près autant que de grains de sable sur Terre, et que d’étoiles dans l’Univers visible. D’ailleurs l’Univers visible a une taille d’environ 10^{27} mètres. Si on regarde son volume plutôt que son diamètre, on fait un saut à 10^{80} mètres-cubes. C’est à peu près aussi le nombre d’atomes dans l’Univers visible, puisque la densité moyenne est de l’ordre d’un atome par mètre-cube. On est pas loin du gogol !
Pour pousser le bouchon, on peut exprimer le volume de l’Univers rapporté au volume d’un proton, par exemple. Un proton mesure environ 10^{-42} mètres cubes, donc le volume de l’Univers observable exprimé en volume de proton est égal à 10^{122}. Bingo !
On peut même aller plus loin en le rapportant au volume de l’électron (10^{-45} \mathrm{m}^3) voire carrément au volume de Planck, lequel vaut dans les 10^{-105} \mathrm{m}^3. Ca nous met le volume de l’Univers en nombre de volumes de Planck à 10^{185}. Si vous multipliez par l’âge de l’Univers exprimé en temps de Planck, on arrive à 10^{245} pour le volume total d’espace-temps de l’Univers observable exprimé en unités de Planck (un nombre sans dimension, vous noterez). Voilà, je ne suis pas sûr qu’on puisse faire mieux.
Alors, 10^{245} est-il le plus grand des nombres utiles ? En physique, probablement; en maths, certainement pas !

Notons tout de même que la société Google s’en est inspiré pour donner un nom au moteur de recherche le plus utilisé actuellement avec quelques centaines de millions de connexions par jour … 
 
La notation de Steinhaus

Mais la folie des grands nombres n'en est qu'à ses prémices. En 1963, un mathématicien polonais, Władysław Hugo Dionizy Steinhaus, invente une notation en cascade :
a dans un triangle pour aa,  
a dans un carré pour a dans a triangles
a dans un cercle pour a dans a carrés.
Cela donne par exemple :

Pour imaginer les nombres gigantesques que la notation de Steinhaus permet de construire, il suffit d'essayer de comprendre le nombre 2 dans un cercle :  

On voit qu'il n'est pas raisonnable de tenter de retrouver une écriture décimale de ce nombre. C'est pourtant l'un des plus petits de cette famille. Imaginez ce que représente par exemple un 100 dans un cercle !

De la notation de Knuth au nombre de Graham

En 1976, un informaticien américain inventeur du langage TeX, Donald Knuth, propose une notation par étages à base de flèches.
a↑b = ab
a↑↑b = a↑a↑...↑a (b fois)
a↑↑↑b = a↑↑a↑↑...↑↑a (b fois)
Et ainsi de suite...
Par exemple :
2↑↑3=2↑2↑2 = 2↑22 = 222 = 16
3↑↑↑3 = 3↑↑3↑↑3 = 3↑↑(3↑3↑3) = 3↑↑(327) = 3↑↑7 625 597 484 987 = 3↑3↑...↑3 (7 625 597 484 987 fois) = 333333. . . . en élevant à la puissante 3, rien que 7 625 597 484 987 fois !

Le mathématicien anglais John Horton Conway poursuit le délire de Knuth en généralisant sa notation avec un nouveau paramètre :
a→b→c = a↑...↑b avec c flèches entre a et b
Ainsi par exemple :
2→3→4 = 2↑↑↑↑3
On imagine bien les nombres extraordinairement grands qu'il est possible de noter de façon très réduite.

Quant au nombre de Graham, du mathématicien américain Ronald Graham, il dépasse les frontières de l'imagination... si ce n'est pas déjà fait !
Le nombre de Graham est le 65e terme de la suite :
u0 = 4
u1 = 3→3→u0
u2 = 3→3→u1
...
 On en connait tout de même ses dix derniers chiffres : ...2464195387
Finissons cet article par un nombre plus modeste mais au joli nom d'Asankhyeya (1 suivi de 140 zéros) dont les origines sont bouddhiques et qui était supposé être le plus grand.