Ciné-Philo Terrason 2019-2020 (1)


NOUVEAU CYCLE NOUVEAU CYCLE
 NOUVEAU CYCLE NOUVEAU CYCLE 
NOUVEAU CYCLE NOUVEAU CYCLE
NOUVEAU CYCLE NOUVEAU CYCLE




Objectifs du ciné-philo :

Les concepts philosophiques abordés en classe de terminale peuvent paraître parfois pour les élèves hermétiques et abstraits. Ce constat est accentué par le fait qu'ils découvrent, pour la plupart, cette discipline pour la première fois et qu'ils doivent être capable au bout d'une (seule) année scolaire de disserter sur un sujet en s'appuyant sur des cours théoriques. La philosophie répond à des problèmes pratiques et la difficulté d'embrasser en si peu de temps une telle quantité de notions et concepts peut être déroutante et décourageante. Élaborer une problématique et réfléchir sur un sujet donné demande un certain temps de maturation intellectuelle et une bonne connaissance méthodologique. Or, la Philosophie est la plus belle des disciplines et celle qui, par essence, devrait concerner tout le monde. Elle devrait, de ce fait être enseignée depuis les classes primaires, car tout enfant se pose des questions auxquelles il n'a pas toujours la réponse adéquate. L’évolution que le système scolaire permet dans d'autres disciplines, devrait aussi satisfaire le domaine de la Pensée. Car au final, nous ne répondons pas aux questions pertinentes de jeunes élèves qui attendent des réponses et le Lycée leur donne des réponses "toutes faites" à des questions qui n'osent plus se poser, et dont ils ne comprennent pas toujours le sens.

Le cinématographe, comme le nommait R. Bresson, est aussi bien un divertissement qu'un Art. Comme tout Art, le cinéma possède une histoire et donc une histoire des formes, à l'égal de la littérature, de la peinture, de la musique, de la sculpture, .... Il a permis l'accès à plusieurs générations d'artistes et de spectateurs à un nouveau mode d'expression qui fait dorénavant parti de notre quotidien et de l'inconscient collectif. De grands auteurs se sont distingués dans ce panorama qui constitue un pan entier d'une culture essentielle pour comprendre le XXe siècle et son évolution. Les réalisateurs travaillent à partir de percepts, comme les philosophes travaillent à partir de concepts. Ils expriment une vision du monde et donc une Pensée. Voilà tout l'enjeu de les confronter.

Illustrer les notions philosophiques par des films et l'analyse de séquences, permet aux élèves de se raccrocher à des exemples "parlants", visuels et concrets. Nous savons qu'une illustration de cette forme est vecteur d'un apprentissage plus ancré dans la mémoire de l'élève. Associer la Philosophie au Cinéma ne dispense en aucun cas l'étude des philosophes, de leur pensée, des notions, des concepts et de l'histoire de la Philosophie et donc de la théorie qui s'y adosse. Ce lien est une aide qui doit éclairer de manière complémentaire l'apprentissage de cette discipline et surtout faciliter l'ancrage des notions. Enfin, travaillant à partir d'extraits, nous souhaitons aussi donner envie aux élèves de voir les films dans leur intégralité, avec un regard différent, ce qui constitue aussi une autre ouverture vers ce médium, et leur permettre, ce qui semble le plus essentiel à l'humain, la découverte de nouveaux horizons.
SL

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Cette année le projet CINEPHILO a le plaisir d’accueillir Marion BLANCHER qui enseigne la Philosophie en classe de terminale et HLP pour les premières. (Terrasson et Sarlat)








NOUVEAUTÉ CETTE ANNÉE / PAGE FACEBOOK DÉDIÉE / Cinéphilo Terrasson
Retrouvez programmes et articles.


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Texte de présentation de Marion Blancher, professeur de philosophie, coanimatrice du ciné-philo à Terrasson

La philosophie peut être cette boîte à outils où chaque concept, chaque texte peut être manié pour saisir avec plus de précision la complexité du réel : de notre vie, de nous-même, du monde qui nous entoure. À la manière de la physique, des mathématiques, ou d’autres sciences, la philosophie mobilise alors une petite partie de notre esprit qui part en exploration dans ce monde avec les outils qu’il s’est forgé. Il rapporte les résultats de ses recherches aux mains qui agissent, au cœur qui ressent : celui qui aime la sagesse, le philosophe, aime à connaître mais cherche aussi par-là à changer sa manière de vivre, c’est-à-dire d’agir et de sentir. Des outils intellectuels, forgés et maniés par l’esprit, au service de la vie…

Le cinéma, à la manière de la littérature, me semble plutôt ouvrir une porte et nous conduire dans des mondes parallèles qui sont pourtant des possibilités du nôtre – de notre monde. Les images dynamiques, l’histoire et ses personnages, la musique qui les accompagne nous plongent dans ce monde possible et nous expérimentons ce que, finalement, le cinéma nous fait comprendre du réel : de notre vie, de nous-même, du monde qui nous entoure. Ce que nous saisissons alors, nous le comprenons avec tout notre être.

Or, la philosophie peut conduire, elle aussi, à cette compréhension intime et incarnée de ce que nous ne faisons pas que percevoir de loin mais aussi de ce que nous vivons. Le cinéma, par cette porte qu’il ouvre sur l’expérience, par le fait qu’il mobilise d’emblée tout notre être, me semble alors être une voie privilégiée permettant à l’apprenti philosophe d’accéder plus directement à cette compréhension-là.

Et pour les élèves qui découvrent la philosophie, l’apprennent moins pour devenir expert de cette discipline que pour en faire un bagage existentiel de plus, accéder à ce type de compréhension incarnée, en prise directe avec leur expérience du monde me semble primordial. Allier le cinéma à la philosophie leur permet donc d’avoir cette approche et d’être curieux de se doter des outils plus techniques que la philosophie peut offrir et déployer.

M. B.
Pour plus de lien(s) ..... 
Blog de Marion Blancher sur la philosophie.

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SÉANCE N°1 : 
VENDREDI 27 Septembre 2019 - 13h - 

SÉANCE N°2 : 
VENDREDI 15 Novembre 2019 - 13h - 



2001, l'odyssée de l'espace (1968) 
S. KUBRICK 




"On n'aime que ce qu'on ne possède pas tout entier."  
M. Proust





« Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie. »
B. Pascal

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Comment faire de la philosophie à partir du film de Stanley Kubrick, 2001, l’odyssée de l’espace ?
Thèmes, notions, concepts abordés :
La raison – La technique* – Le langage** – L’Humanité – Le surhumain – La transcendance – La violence – Le transhumanisme(1) – L’Art* - L’histoire** - L’interprétation – L’existence –
(1) Mouvement qui promeut l'utilisation des découvertes scientifiques et techniques pour l'amélioration des performances humaines.


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Présentation film :

Année : 1968
Pays : Royaume-Uni, États-Unis
Genres : Science-Fiction
Réalisé par : Stanley Kubrick 
Photographie : Geoffrey Unsworth
Scénario : Stanley Kubrick, Arthur C. Clarke
Produit par : Stanley Kubrick, Victor Lyndon
Studios de production : Metro-Goldwyn-Mayer (MGM),
Stanley Kubrick Productions
Durée : 141 min
Format d'image : 2.20:1 / 70 mm
Couleur : Couleur



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Les textes proposés par M. B. sont précédés de (**)

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« J’ai tenté de créer une expérience visuelle qui aille au-delà des références verbales habituelles et qui pénètre directement le subconscient de son contenu émotionnel et philosophique. J’ai eu l’intention de faire de mon film une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur au niveau le plus intérieur de sa conscience juste comme le fait la musique. Vous avez la liberté de spéculer à votre gré sur la signification philosophique et allégorique de ce film »                                                                                                                                                                                                                           S. Kubrick

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"L'être humain est, au fond, un animal sauvage et effroyable. Nous le connaissons seulement dompté et apprivoisé par ce que nous appelons la civilisation."

A. Schopenhauer, Parerga et paralipomena

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Vers une lecture nietzschéenne du film ….


« C’est là aussi que je ramassai sur la route ce mot « Surhumain », cette pensée, que l’homme est une chose qui doit être dépassé. C’est-à-dire que l’homme est un pont et non un terme et qu’il doit bénir les heures de midi et du soir qui sont les chemins d’aurores nouvelles. »

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra


Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, «Les trois métamorphoses»

Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.
Il est maint fardeau pesant pour l’esprit, pour l’esprit patient et vigoureux en qui domine le respect : sa vigueur réclame le fardeau pesant, le plus pesant.
Qu’y a-t-il de plus pesant ! Ainsi interroge l’esprit robuste. Dites-le, o héros, afin que je le charge sur moi et que ma force se réjouisse.
N’est-ce pas cela : s’humilier pour faire souffrir son orgueil ? Faire luire sa folie pour tourner en dérision sa sagesse ?
Ou bien est-ce cela : déserter une cause, au moment où elle célèbre sa victoire ? Monter sur de hautes montagnes pour tenter le tentateur ?
Ou bien est-ce cela : se nourrir des glands et de l’herbe de la connaissance, et souffrir la faim dans son âme, pour l’amour de la vérité ?
Ou bien est-ce cela : être malade et renvoyer les consolateurs, se lier d’amitié avec des sourds qui m’entendent jamais ce que tu veux ?
Ou bien est-ce cela : descendre dans l’eau sale si c’est l’eau de la vérité et ne point repousser les grenouilles visqueuses et les purulents crapauds ?
Ou bien est-ce cela : aimer qui nous méprise et tendre la main au fantôme lorsqu’il veut nous effrayer ?
L’esprit robuste charge sur lui tous ces fardeaux pesants : tel le chameau qui sitôt charge se hâte vers le désert, ainsi lui se hâte vers son désert.
Mais au fond du désert le plus solitaire s’accomplit la seconde métamorphose : ici l’esprit devient lion, il veut conquérir la liberté et être maitre de son propre désert.
Il cherche ici son dernier maitre : il veut être l’ennemi de ce maitre, comme il est l’ennemi de son dernier dieu ; il veut lutter pour la victoire avec le grand dragon. 
Quel est le grand dragon que l’esprit ne veut plus appeler ni dieu ni maitre ? « Tu dois », s’appelle le grand dragon. Mais l’esprit du lion dit : « Je veux. »
« Tu dois » le guette au bord du chemin, étincelant d’or sous sa carapace aux mille écailles, et sur chaque écaille brille en lettres dorées : « Tu dois ! »
Des valeurs de mille années brillent sur ces écailles et ainsi parle le plus puissant de tous les dragons : « Tout ce qui est valeur – brille sur moi. »
Tout ce qui est valeur a déjà été créée, et c’est moi qui représente toutes les valeurs créées. En vérité il ne doit plus y avoir de « Je veux ! ». Ainsi parle le dragon.
Mes frères, pourquoi est-il besoin du lion de l’esprit ? La bête robuste qui s’abstient et qui est respectueuse ne suffit-elle pas ?
Créer des valeurs nouvelles – le lion même ne le peut pas encore : mais se rendre libre pour la création nouvelle – c’est ce que peut la puissance du lion.
Se faire libre, opposer une divine négation, même au devoir : telle, mes frères, est la tache ou il est besoin du lion.
Conquérir le droit de créer des valeurs nouvelles – c’est la plus terrible conquête pour un esprit patient et respectueux. En vérité, c’est là un acte féroce, pour lui, et le fait d’une bête de proie.
Il aimait jadis le « Tu dois » comme son bien le plus sacre : maintenant il lui faut trouver l’illusion et l’arbitraire, même dans ce bien le plus sacre, pour qu’il fasse, aux dépens de son amour, la conquête de la liberté : il faut un lion pour un pareil rapt.
Mais, dites-moi, mes frères, que peut faire l’enfant que le lion ne pouvait faire ? Pourquoi faut-il que le lion ravisseur devienne enfant ?
L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation.
Oui, pour le jeu divin de la création, o mes frères, il faut une sainte affirmation : l’esprit veut maintenant sa propre volonté, celui qui a perdu le monde veut gagner son propre monde.
Je vous ai nommé trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment l’esprit devient
Ainsi parlait Zarathoustra. Et en ce temps-là il séjournait dans la ville que l’on appelle : la Vache multicolore.

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« Celui qui s’est figuré avoir compris quelque chose de moi s’est apprêté quelque chose de moi à son image, – et assez souvent c’est le contraire de ce que je suis, par exemple un « idéaliste » ; qui n’a rien compris de moi à nié qu’il faille le moins du monde me prendre en considération. – Le mot « surhumain », qui sert à désigner un type de réussite suprême, à l’opposé des « hommes modernes », des hommes « bons », des chrétiens et autres nihilistes – mot qui, dans la bouche d’un Zarathoustra, du destructeur de la morale, devient un mot qui donne beaucoup à réfléchir -, le « surhumain » a été compris presque partout en toute innocence comme le synonyme des valeurs dont la figure de Zarathoustra constitue l’antithèse, à savoir comme le type idéaliste d’une espèce supérieure d’hommes, à moitié « saint », à moitié « génie »…Un autre bétail, celui des bêtes à cornes érudites, m’a de son côté suspecté de darwinisme ; on a même reconnu dans ce mot le « culte des héros » que j’ai pourtant si méchamment rejeté, ce culte prôné par Carlyle, ce grand faux-monnayeur malgré lui. Quand je soufflais à l’oreille qu’on ferait mieux encore de chercher un César Borgia qu’un Parsifal, on n’en croyait pas ses oreilles. » 

Friedrich Nietzsche, Ecce homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres »

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Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens?

Vocabulaire associé : Analyser – Interpréter - Exégèse - Herméneutique - Expliquer / Comprendre - Médiat / Immédiat - Sémiologie - Signe – Symbole - 

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"L'art pour l'art. - La lutte contre la fin en l'art est toujours une lutte contre les tendances moralisatrices dans l'art, contre la subordination de l'art sous la morale. L'art pour l'art veut dire : « Que le diable emporte la morale ! ». -Mais cette inimitié même dénonce encore la puissance prépondérante du préjugé. Lorsque l'on a exclu de l'art le but de moraliser et d'améliorer les hommes, il ne s'ensuit pas encore que l'art doive être absolument sans fin, sans but et dépourvu de sens, en un mot, l'art pour l'art - un serpent qui se mord la queue. « Etre plutôt sans but, que d'avoir un but moral ! » ainsi parle la passion pure. Un psychologue demande au contraire : que fait toute espèce d'art ? Ne loue-t-elle point ? Ne glorifie-t-elle point ? N’isole-t-elle point ? Avec tout cela l'art fortifie ou affaiblit certaines évaluations... N'est-ce là qu'un accessoire, un hasard ? Quelque chose à quoi l'instinct de l'artiste ne participerait pas du tout ? Ou bien la faculté de pouvoir de l'artiste n'est-elle pas la condition première de l'art ? L'instinct le plus profond de l'artiste va-t-il à l'art, ou bien n'est-ce pas plutôt au sens de l'art, à la vie, à un désir de vie ? - L'art est le grand stimulant à la vie : comment pourrait-on l'appeler sans fin, sans but, comment pourrait-on l'appeler l'art pour l'art ?"

Friedrich Nietzsche,  Le Crépuscule des Idoles, § 24

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« La philosophie n'est pas l'art, mais elle a avec l'art de profondes affinités. Qu'est-ce que l'artiste ? C'est un homme qui voit mieux que les autres car il regarde la réalité nue et sans voiles. Voir avec des yeux de peintre, c'est voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons un objet, d'habitude, nous ne le voyons pas; parce que ce que nous voyons, ce sont des conventions interposées entre l'objet et nous ; ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l'objet et de le distinguer pratiquement d'un autre, pour la commodité de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l'usage pratique et les commodités de la vie et s'efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste. Mais ce sera aussi un philosophe, avec cette différence que la philosophie s'adresse moins aux objets extérieurs qu'à la vie intérieure de l'âme. »

   Henri BERGSON
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L’interprétation


« Savoir jusqu'où s'étend le caractère perspectiviste de l'existence ou même, si elle a en outre quelque autre caractère, si une existence sans interprétation, sans nul « sens » ne devient pas « non-sens », si d'autre part toute existence n'est pas essentiellement une existence interprétative-voilà ce que ne saurait décider l'intellect ni par l'analyse la plus laborieuse ni par son propre examen le plus consciencieux : puisque lors de cette analyse l'intellect humain ne peut faire autrement que de se voir sous ses formes perspectivistes, et rien qu'en elles. Nous ne pouvons regarder au-delà de notre angle : c'est une curiosité désespérée que de chercher à savoir quels autres genres d'intellects et de perspectives pourraient exister encore : par exemple si quelques êtres sont capables de ressentir le temps régressivement ou dans un sens alternativement régressif et progressif (ce qui donnerait lieu à une autre orientation de la vie et à une autre notion de cause et d'effet). Mais je pense que nous sommes aujourd'hui éloignés tout au moins de cette ridicule immodestie de décréter à partir de notre angle que seules seraient valables les perspectives à partir de cet angle. Le monde au contraire nous est redevenu « infini » une fois de plus : pour autant que nous ne saurions ignorer la possibilité qu'il renferme une infinité d'interprétations. Une fois encore le grand frisson nous saisit :-mais qui donc aurait envie de diviniser à l'ancienne manière ce monstre de monde inconnu ? Qui s'aviserait d'adorer cet inconnu désormais en tant que le « dieu inconnu » ? Hélas, il est tant de possibilités non divines d'interprétation inscrites dans cet inconnu, trop de diableries, de sottises, de folies d'interprétation, notre propre humaine, trop humaine interprétation, que nous connaissons... »

 Friedrich Nietzsche, Le gai Savoir, V, § 374, Notre nouvel « Infini »


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L’homme et la technique

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« L’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas  un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques  que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main. Aussi ceux qui disent  que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé des animaux (parce que dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir  et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir. »

Aristote, Les parties des animaux
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« Il y a chez les animaux deux sortes de mouvements qui leur sont propres : l’un appelé mouvement vital, commence à la génération et se poursuit sans interruption pendant la vie entière : à cette espèce appartiennent le cours du sang, le pouls, la respiration, la concoction (digestion), la nutrition, l’excrétion, etc. : ces mouvements ne requièrent pas l’aide de l’imagination. L’autre est le mouvement volontaire : par exemple marcher, parler, mouvoir quelqu’un de nos membres de la façon qui a d’abord été imaginée dans notre esprit. (…) Et puisque marcher, parler et les autres mouvements volontaires semblables dépendent toujours d’une pensée antécédente du vers où, du par où et du quoi, il est évident que l’imagination est le premier commencement interne de tout mouvement volontaire. (…) ces petits commencements de mouvement qui sont intérieurs au corps de l’homme, reçoivent communément, avant d’apparaître dans le fait d’avancer, de parler, de frapper et dans d’autres actions visibles, le nom d’effort. »
Hobbes, Léviathan, chapitre VI

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« Telle est la nature des hommes, que, quelque supériorité qu'ils puissent reconnaître à beaucoup d'autres dans le domaine de l'esprit, de l’éloquence ou des connaissances, néanmoins ils auront du mal à croire qu’il existe beaucoup de gens aussi sages qu’eux-mêmes. Car ils voient leur propre esprit de tout près et celui des autres de loin. Mais cela prouve l’égalité des hommes sur ce point, plutôt que leur inégalité. Car d’ordinaire, il n’y a pas de meilleur signe d’une distribution égale de quoi que ce soit, que le fait que chacun soit satisfait de sa part.
De cette égalité des aptitudes découle une égalité dans l’espoir d’atteindre nos fins. C’est pourquoi si deux hommes désirent la même chose alors qu’il n’est pas possible qu’ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis : et dans leur poursuite de cette fin (…), chacun s’efforce de détruire ou de dominer l’autre (…) de prendre les devants. »

Hobbes, Léviathan, Chapitre XIII

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« Ce qui nous force à penser, c’est la technique. »  
Bernard Stiegler

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Quand on fait le procès du machinisme, on néglige le grief essentiel. On l’accuse d’abord de réduire l’ouvrier à l’état de machine, ensuite d’aboutir à une uniformité de production qui choque le sens artistique. Mais si la machine procure à l’ouvrier un plus grand nombre d’heures de repos, et si l’ouvrier emploie ce supplément de loisir à autre chose qu’aux prétendus amusements qu’un industrialisme mal dirigé a mis à la portée de tous, il donnera à son intelligence le développement qu’il aura choisi, au lieu de s’en tenir à celui que lui imposerait, dans des limites toujours restreintes, le retour (d’ailleurs impossible) à l’outil, après suppression de la machine. Pour ce qui est de l’uniformité de produit, l’inconvénient en serait négligeable si l’économie de temps et de travail, réalisée ainsi par l’ensemble de la nation, permettait de pousser plus loin la culture intellectuelle et de développer les vraies originalités. On a reproché aux Américains d’avoir tous le même chapeau. Mais la tête doit passer avant le chapeau. Faites que je puisse meubler ma tête selon mon goût propre, et j’accepterai pour elle le chapeau de tout le monde. Là n’est pas notre grief contre le machinisme. Sans contester les services qu’il a rendu aux hommes en développant largement les moyens de satisfaire des besoins réels, nous lui reprocherons d’en avoir trop encouragé d’artificiels, d’avoir poussé au luxe, d’avoir favorisé les villes au détriment des campagnes, enfin d’avoir élargie la distance et transformé les rapports entre le patron et l’ouvrier, entre le capital et le travail. Tous ces effets pourraient d’ailleurs se corriger; la machine ne serait plus alors que la grande bienfaitrice. Il faudrait que l’humanité entreprît de simplifier son existence avec autant de frénésie qu’elle en mit à la compliquer.

Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion


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« Car, en réalité, la technique date de temps immémoriaux et, en outre, elle n’est rien qui soit historiquement localisé, mais bien quelque chose d’immensément général. Cela va bien au-delà de l’humanité, au cœur de la vie animale, celle de tous les animaux. (…) La technique est la tactique de la vie : c’est la forme intérieure dont la procédure de conflit (conflit qui s’identifie à la vie elle-même) est la manifestation extérieure.
Ici apparaît la seconde erreur qu’il convient d’éviter. La technique ne s’interprète pas en fonction de l’instrument. Ce qui importe n’est nullement la forme des choses, ni comment on les fabrique, mais ce que l’on fait avec elles, leur utilisation : ce n’est pas l’arme, mais le combat. (…) Il y a d’innombrables techniques dans lesquelles aucun instrument n’intervient : par exemple, celle d’un lion imposant sa supériorité à la gazelle, ou celle de la diplomatie ; ou encore, la technique administrative qui consiste à maintenir l’intégrité formelle et fonctionnelle d’un État en vue des luttes de la politique. Il y a aussi les techniques de la guerre des gaz et de la guerre chimique. Toute confrontation avec un problème crée le besoin d’une technique appropriée. Il y a une technique du coup de pinceau du peintre, de l’équitation, de la navigation aérienne. C’est toujours une question de comportement intéressé, dirigé vers un but, jamais de choses ni d’objets. » 

L’homme et la technique, O. Spengler


« Il y a une importante différence entre l’homme et tous les autres animaux. La technique de ces derniers est une TECHNIQUE GÉNÉRIQUE. Elle n’est pas inventive et n’est susceptible d’aucun développement. Le type des abeilles, depuis qu’il existe, a toujours confectionné ses rayons comme il le fait aujourd’hui et en fera ainsi jusqu’à son extinction ; les rayons « font partie » du type, au même titre que la forme des ailes ou la coloration du corps. Les distinctions entre structure corporelle et mode de vie n’existent que dans la tête des anatomistes. Si nous prenons pour base la forme intérieure de la vie au lieu de celle du corps, la tactique vitale et la structure corporelle apparaissent comme une seule et même chose, toutes deux étant des expressions d’une réalité organique UNIQUE. « L’espèce » est une forme non point de l’apparent et du statique, mais bien de la mobilité : non point une forme de « ainsi-fait » mais bien de « ainsi-étant » et « ainsi-faisant ». La structure corporelle révèle donc le corps AGISSANT.
Abeilles, termites, castors, bâtissent de merveilleux édifices. Les fourmis connaissent l’agriculture, les travaux de voierie, l’esclavage et la conduite des opérations de guerre. L’éducation des petits, les travaux de fortification et les migrations organisées apparaissent comme très répandus. Tout ce que l’homme accomplit, un animal ou un autre l’a fait. La vie librement mouvante, dans sa généralité, comprend les tendances qui existent, latentes, en tant que POTENTIALITÉS. L’homme n’accomplit rien qui ne soit à la portée de LA VIE EN GÉNÉRAL.
Et néanmoins, tout ceci n’a fondamentalement aucun rapport avec la technique humaine. De telles techniques génériques sont INVARIABLES : voilà bien ce que signifie le terme « instinct ». La « cogitation » animale étant strictement tributaire du « ici-et-maintenant » immédiat, et ne tenant compte ni du passé ni de l’avenir, elle ne connaît pas non plus l’expérience ou l’angoisse. Il n’est pas vrai que la femelle animale « se fasse du souci » pour ses petits. Le souci est un sentiment qui sous-tend la projection d’une vision mentale dans le futur, la préoccupation de ce qui VA ÊTRE, de même que le regret implique la connaissance de ce qui FUT. Un animal ne connaît ni l’amertume ni le désespoir. Et son activité parentale est, comme tout ce dont il est question plus haut, une obscure réponse inconsciente à une instigation du même ordre que celle qui est sous-jacente à maints autres types de vie. C’est une propriété de l’espèce et non de l’individu. La technique générique est par conséquent non seulement invariable, mais également IMPERSONNELLE.
La caractéristique exclusive de la technique humaine, au contraire, est qu’elle est INDÉPENDANTE de la vie de l’espèce humaine. C’est, dans l’histoire entière du monde vivant, l’exemple unique d’un individu qui s’affranchit de la contrainte générique. Il importe de méditer longuement sur cette pensée si l’on veut en saisir les implications infinies. Dans l’existence de l’homme, la technique est consciente, arbitraire, modifiable, personnelle, IMAGINATIVE ET INVENTIVE. Elle peut s’apprendre et être perfectionnée. L’homme est devenu le CRÉATEUR de sa tactique vitale ; là est sa grandeur et là est sa perte. Et la forme intime de sa créativité est appelée culture : être cultivé, cultiver, pâtir de la culture. Les créations de l’homme constituent des expressions de ce spécimen dans une forme PERSONNELLE. »

L’homme et la technique, O. Spengler



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Sur le langage  

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« La langue des Castors et celle des Fourmis sont dans le geste et parlent seulement aux yeux. Quoi qu’il en soit, par cela même que les unes et les autres de ces langues sont naturelles, elles ne sont pas acquises ; les animaux qui les parlent les ont en naissant, ils les ont tous, et partout la même : ils n’en changent point, ils n’y font pas le moindre progrès. La langue de convention n’appartient qu’à l’homme. Voilà pourquoi l’homme fait des progrès, soit en bien, soit en mal ; et pourquoi les animaux n’en font point.»                                                                                                                                                                                                                                                                                               
 Rousseau, Essai sur l’origine des langues, chapitre I

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« Qu’est-ce qu’un mot ? La représentation sonore d’une excitation nerveuse. Mais conclure d’une excitation nerveuse à une cause extérieure à nous, c’est déjà le résultat d’une application fausse et injustifiée du principe de raison. Comment aurions-nous le droit, si la vérité avait été seule déterminante dans la genèse du langage, et le point de vue de la certitude dans les désignations, comment aurions-nous donc le droit de dire : la pierre est dure - comme si « dure » nous était encore connu autrement et pas seulement comme une excitation toute subjective ! Nous classons les choses selon les genres, nous désignons l’arbre comme masculin, la plante comme féminine : quelles transpositions arbitraires ! Combien nous nous sommes éloignés à tire-d’aile du canon de la certitude ! Nous parlons d’un « serpent » : la désignation n’atteint rien que le mouvement de torsion et pourrait donc convenir aussi au ver. Quelles délimitations arbitraires ! Quelles préférences partiales tantôt de telle propriété d’une chose, tantôt de telle autre ! Comparées entre elles, les différentes langues montrent qu’on ne parvient jamais par les mots à la vérité, ni à une expression adéquate : sans cela, il n’y aurait pas de si nombreuses langues. La « chose en soi » (ce serait justement la pure vérité sans conséquences), même pour celui qui façonne la langue, est complètement insaisissable et ne vaut pas les efforts qu’elle exigerait. Il désigne seulement les relations des choses aux hommes et s’aide pour leur expression des métaphores les plus hardies. Transposer d’abord une excitation nerveuse en une image ! Première métaphore. L’image à nouveau transformée en un son articulé ! Deuxième métaphore. Et chaque fois saut complet d’une sphère dans une sphère tout autre et nouvelle. On peut s’imaginer un homme qui soit totalement sourd et qui n’ait jamais eu une sensation sonore ni musicale : de même qu’il s’étonne des figures acoustiques de Chiadni dans le sable, trouve leur cause dans le tremblement des cordes et jurera ensuite là-dessus qu’il doit maintenant savoir ce que les hommes appellent le « son », ainsi en est-il pour nous tous du langage. Nous croyons savoir quelque chose des choses elles-mêmes quand nous parlons d’arbres, de couleurs, de neige et de fleurs, et nous ne possédons cependant rien que des métaphores des choses, qui ne correspondent pas du tout aux entités originelles. Comme le son en tant que figure de sable, l’X énigmatique de la chose en soi est prise, une fois comme excitation nerveuse, ensuite comme image, enfin comme son articulé. Ce n’est en tout cas pas logiquement que procède la naissance du langage et tout le matériel à l’intérieur duquel et avec lequel l’homme de la vérité, le savant, le philosophe, travaille et construit par la suite, s’il ne provient pas de Coucou-les-nuages, ne provient pas non plus en tout cas de l’essence des choses. »

F. Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral (1873)



« Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous […]. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes. »
         
H. Bergson

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Questions soulevées par le film en lien avec le programme ou au-delà :

  • La culture est-elle un rempart contre la barbarie ?
  • La culture nous rend-elle plus humain ?
  • Le langage fait-il de nous des êtres plus évolués ?*
  • Peut-on interpréter une œuvre d’art ?**
  • Le progrès technique est-il un facteur civilisationnel ?*
  • Peut-on montrer des concepts qui se pensent ?
  •  La transcendance est-elle une nécessité existentielle ?
  • L’ordinateur peut-il supplanter l’humain ? 
  • Tout développement de la technique court-il le risque de la violence ?
  • Doit-on avoir peur de la technique ?
  • Qu’attendons-nous de la technique ?*
  • L’homme est-il fondamentalement violent ? 
  • Le langage : un outil comme un autre ou une expression singulière ?**
  • Le langage ne sert-il qu’à communiquer ?**  
  • Est-on totalement libre l’interprétation d’une œuvre d’art ?**
  • Est-il raisonnable de donner un sens à tout ?**
  • Une œuvre d’art doit-elle émouvoir ?*
  • Une œuvre d’art s’adresse-t-elle seulement aux hommes de son temps ?*
  • Les arts sont-ils un langage ?* 
  •  Faire comprendre : par l’émotion ou les idées ?

(*) Programme du bac ES et S
(**)Programme bac ES seulement. 


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Films (essentiels) en lien avec 2001, l’odyssée de l’espace et les notions abordées :

  •         Toute l’œuvre de S. Kubrick notamment :
o   Docteur Folamour
o   Orange mécanique
o   Full metal Jacket
  •  Les temps modernes (C. Chaplin)
  •  Metropolis (F. Lang)
  • Ex-machina (Alex Garland) 
  • Magnolia (Paul Thomas Anderson
  • There will be blood (Paul Thomas Anderson
  • Cloud Atlas
  • Ma nuit chez Maud (Eric Rohmer)
  • Mon oncle d’Amérique (Alain Resnais)


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Le premier alignement se produit au tout début (générique). Nous sommes sur la lune
observant la Terre et le soleil en arrière plan. La deuxième apparition, "The Dawn of Man" l'axe est celui de cette photo. Le monolithe est donc sur Terre. Cette première constatation qui nous met face à la première véritable énigme du film. Est-ce le même ou un autre? Une représentation, un symbole ou une réalité? La troisième apparition, sur la lune alors que Floyd est notre témoin de cette découverte extraordinaire (sensée être au présent du film, c'est à dire en 2001). Nous apprenons que le monolithe y a été enterré volontairement voici 5 millions d'années ! Cette séquence qui pose la base énigmatique du film va se clore sur un bruit assourdissant dégagé par le monolithe. De ces 3 (premières) apparitions nous tentons, pauvres rationalistes que nous sommes, de faire notre chronologie et d'en dégager une véracité scientifique.




Toute la force de la mise en scène provient du fait que ce ne sont que les images qui nous parlent de l'essentiel, les dialogues sont, à dessein, pauvres et banals. Ils ne renseignent que sur le factuel (anniversaire de la petite fille, la discussion entre les russes et Floyd dans la station). La progression narrative et assurée par l'évolution visuelle du film. Il me semble intéressant de noter la volonté du réalisateur d'être au plus juste de l'avancée technologique et scientifique. De plus, sous l'apparence d'images anodines, je pense à l'approche du vaisseau vers la station, les premiers indices de notre perte de repère se fait sentir. La danse spatiale en fonction du point de vue que la caméra, donc le spectateur, occupe, nous voyons tourner un autre référentiel. Rappelons-nous des facettes noires et profondes du monolithe, objet fini, qui, de par ses arrêtes, est un référentiel orthogonal du film (axes Ox, Oy et Oz).
Le deuxième chapitre, le voyage vers Jupiter, s'ouvre sur l'une des plus belles séquences de toute l'Histoire du cinéma. La mission dirigée par le capitaine Bowman doit de rendre sur Jupiter. Le vaisseau est contrôlé par HAL 9000 un ordinateur doué de pensée et surtout capable de ressentir de l'émotion. L'important dans cette partie se situe au sein du processus décisionnel géré entre l'Homme et la machine qui peu à peu va prendre le contrôle de la situation. Lorsque HAL demande à Franck de lui montrer ses dessins on voit qu'il est capable d'éprouver un sentiment et de se faire une opinion sur la chose qui appartient le plus en propre à l'espèce humaine, à savoir l'Art. Soudain HAL signale une défaillance du système antenne qui risque de tomber en panne. Que s'est-il passé dans la "tête" de l'ordinateur pour qu'il mette en péril la mission dont il était le principal garant. Nous allons assister au premier assassinat programmé/prémédité par une machine. Son but est clair, se débarrasser de tout l'équipage afin d'accomplir seul cette mission. La question (à ce moment du récit) qui revient chez le spectateur est double : est-ce une volonté programmée par ses programmateurs ou bien une mutinerie orchestrée par la seule volonté de HAL? A-t-il pris goût au pouvoir comme les hommes ? L'Homme descend du Singe et la machine descend de l'Homme. Cherchez l'erreur !
Tout se passe comme si nous étions témoins sidérés d'une prise de pouvoir sans violence (apparente) et surtout sans action directe. La machine est devenue humaine et les hommes sont devenus des robots; la scène de la sortie dans l'espace avec les modules est à ce propos très exemplaire et donc machinale. Les hommes sont le prolongement de la pensée de HAL. Cette inversion des valeurs post-Nietzschéenne nous met en face de nous-mêmes, spectateur hypnotisé par un spectacle d'une banalité absolue (une réparation par exemple) mais d'une conséquence éthique sans limite. Apothéose cinématographique, nous sommes stupéfaits par la mise en scène d'une absolue beauté qui ramène l'action (au sens scénaristique) à son degré zéro de l'écriture. Nous sommes devant un spectacle pur. Tout est centré sur l'émotion éprouvée par le spectateur qui ne passe pas par la raison ou la cognition mais par les sens (vue, ouïe). En somme une "vision inouïe" nous est donnée.
La langage en question : nous sommes témoins (comme nous l'étions "à l'aube de l'humanité", mais à l'inverse) de l'extinction du langage. Après la "mort" de HAL, le film ne sera que pur spectacle visuel et musical, dénué de tout dialogue.
La musique de Ligeti prend alors un sens particulier, le Lux Aeterna et ses voix mélangées occupent tout l'espace et le temps.
L'idée de cycle, de circularité qui n'a cessé d'obséder Kubrick, va trouver ici un climax.
L'entrée dans l'atmosphère de Jupiter puis l'arrivée sur la planète est la quatrième et dernière partie du film, la plus originale et intrigante. Elle boucle le film en ce sens où nous retrouvons le monolithe qui finalement est la seule constante "matérielle" et mystérieuse au récit.  
SL

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Analyse séquence N°1 "L'aube de l'humanité"

En construction .....








 FICHE ÉLÈVE :


Comment faire de la philosophie à partir du film de Stanley Kubrick, 2001, l’odyssée de l’espace ? (Séance 1/2)
Thèmes, notions, concepts abordés :
La raison – La technique* – Le langage** – L’Humanité – Le surhumain – La transcendance – La violence – Le transhumanisme(1) – L’Art* - L’histoire** - L’interprétation – L’existence –
(1) Mouvement qui promeut l'utilisation des découvertes scientifiques et techniques pour l'amélioration des performances humaines.

Présentation film :

Année : 1968
Genres : Science-Fiction
Réalisé par : Stanley Kubrick 
Photographie : Geoffrey Unsworth
Studios de production : Metro-Goldwyn-Mayer (MGM),
Durée : 141 min
Format d'image : 2.20:1 / 70 mm
Couleur : Couleur




« J’ai tenté de créer une expérience visuelle qui aille au-delà des références verbales habituelles et qui pénètre directement le subconscient de son contenu émotionnel et philosophique. J’ai eu l’intention de faire de mon film une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur au niveau le plus intérieur de sa conscience juste comme le fait la musique. Vous avez la liberté de spéculer à votre gré sur la signification philosophique et allégorique de ce film »                                                                                                                                                                                                                           S. Kubrick



"L'être humain est, au fond, un animal sauvage et effroyable. Nous le connaissons seulement dompté et apprivoisé par ce que nous appelons la civilisation."

A.    Schopenhauer, Parerga et paralipomena
L’homme et la technique

« L’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas  un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques  que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main. Aussi ceux qui disent  que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé des animaux (parce que dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir  et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir. »

Aristote, Les parties des animaux
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« Il y a chez les animaux deux sortes de mouvements qui leur sont propres : l’un appelé mouvement vital, commence à la génération et se poursuit sans interruption pendant la vie entière : à cette espèce appartiennent le cours du sang, le pouls, la respiration, la concoction (digestion), la nutrition, l’excrétion, etc. : ces mouvements ne requièrent pas l’aide de l’imagination. L’autre est le mouvement volontaire : par exemple marcher, parler, mouvoir quelqu’un de nos membres de la façon qui a d’abord été imaginée dans notre esprit. (…) Et puisque marcher, parler et les autres mouvements volontaires semblables dépendent toujours d’une pensée antécédente du vers où, du par où et du quoi, il est évident que l’imagination est le premier commencement interne de tout mouvement volontaire. (…) ces petits commencements de mouvement qui sont intérieurs au corps de l’homme, reçoivent communément, avant d’apparaître dans le fait d’avancer, de parler, de frapper et dans d’autres actions visibles, le nom d’effort. »
 
Hobbes, Léviathan, chapitre VI


« Telle est la nature des hommes, que, quelque supériorité qu'ils puissent reconnaître à beaucoup d'autres dans le domaine de l'esprit, de l’éloquence ou des connaissances, néanmoins ils auront du mal à croire qu’il existe beaucoup de gens aussi sages qu’eux-mêmes. Car ils voient leur propre esprit de tout près et celui des autres de loin. Mais cela prouve l’égalité des hommes sur ce point, plutôt que leur inégalité. Car d’ordinaire, il n’y a pas de meilleur signe d’une distribution égale de quoi que ce soit, que le fait que chacun soit satisfait de sa part.
De cette égalité des aptitudes découle une égalité dans l’espoir d’atteindre nos fins. C’est pourquoi si deux hommes désirent la même chose alors qu’il n’est pas possible qu’ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis : et dans leur poursuite de cette fin (…), chacun s’efforce de détruire ou de dominer l’autre (…) de prendre les devants. »

Hobbes, Léviathan, Chapitre XIII

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« Ce qui nous force à penser, c’est la technique. » Bernard Stiegler

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« Car, en réalité, la technique date de temps immémoriaux et, en outre, elle n’est rien qui soit historiquement localisé, mais bien quelque chose d’immensément général. Cela va bien au-delà de l’humanité, au cœur de la vie animale, celle de tous les animaux. (…) La technique est la tactique de la vie : c’est la forme intérieure dont la procédure de conflit (conflit qui s’identifie à la vie elle-même) est la manifestation extérieure.
Ici apparaît la seconde erreur qu’il convient d’éviter. La technique ne s’interprète pas en fonction de l’instrument. Ce qui importe n’est nullement la forme des choses, ni comment on les fabrique, mais ce que l’on fait avec elles, leur utilisation : ce n’est pas l’arme, mais le combat. (…) Il y a d’innombrables techniques dans lesquelles aucun instrument n’intervient : par exemple, celle d’un lion imposant sa supériorité à la gazelle, ou celle de la diplomatie ; ou encore, la technique administrative qui consiste à maintenir l’intégrité formelle et fonctionnelle d’un État en vue des luttes de la politique. Il y a aussi les techniques de la guerre des gaz et de la guerre chimique. Toute confrontation avec un problème crée le besoin d’une technique appropriée. Il y a une technique du coup de pinceau du peintre, de l’équitation, de la navigation aérienne. C’est toujours une question de comportement intéressé, dirigé vers un but, jamais de choses ni d’objets. »
                                                                                                                               
                                                                                                                  L’homme et la technique, O. Spengler

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Quand on fait le procès du machinisme, on néglige le grief essentiel. On l’accuse d’abord de réduire l’ouvrier à l’état de machine, ensuite d’aboutir à une uniformité de production qui choque le sens artistique. Mais si la machine procure à l’ouvrier un plus grand nombre d’heures de repos, et si l’ouvrier emploie ce supplément de loisir à autre chose qu’aux prétendus amusements qu’un industrialisme mal dirigé a mis à la portée de tous, il donnera à son intelligence le développement qu’il aura choisi, au lieu de s’en tenir à celui que lui imposerait, dans des limites toujours restreintes, le retour (d’ailleurs impossible) à l’outil, après suppression de la machine. Pour ce qui est de l’uniformité de produit, l’inconvénient en serait négligeable si l’économie de temps et de travail, réalisée ainsi par l’ensemble de la nation, permettait de pousser plus loin la culture intellectuelle et de développer les vraies originalités. On a reproché aux Américains d’avoir tous le même chapeau. Mais la tête doit passer avant le chapeau. Faites que je puisse meubler ma tête selon mon goût propre, et j’accepterai pour elle le chapeau de tout le monde. Là n’est pas notre grief contre le machinisme. Sans contester les services qu’il a rendu aux hommes en développant largement les moyens de satisfaire des besoins réels, nous lui reprocherons d’en avoir trop encouragé d’artificiels, d’avoir poussé au luxe, d’avoir favorisé les villes au détriment des campagnes, enfin d’avoir élargie la distance et transformé les rapports entre le patron et l’ouvrier, entre le capital et le travail. Tous ces effets pourraient d’ailleurs se corriger; la machine ne serait plus alors que la grande bienfaitrice. Il faudrait que l’humanité entreprît de simplifier son existence avec autant de frénésie qu’elle en mit à la compliquer.

Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion



Sur le langage

« La langue des Castors et celle des Fourmis sont dans le geste et parlent seulement
aux yeux. Quoi qu’il en soit, par cela même que les unes et les autres de ces langues sont naturelles, elles ne sont pas acquises ; les animaux qui les parlent les ont en naissant, ils les ont tous, et partout la même : ils n’en changent point, ils n’y font pas le moindre progrès. La langue de convention n’appartient qu’à l’homme. Voilà̀ pourquoi l’homme fait des progrès, soit en bien, soit en mal ; et pourquoi les animaux n’en font point. »
                                                                                                                                                                                                                                                                                     Rousseau, Essai sur l’origine des langues, chapitre I

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« Qu’est-ce qu’un mot ? La représentation sonore d’une excitation nerveuse. Mais conclure d’une excitation nerveuse à une cause extérieure à nous, c’est déjà le résultat d’une application fausse et injustifiée du principe de raison. Comment aurions-nous le droit, si la vérité avait été seule déterminante dans la genèse du langage, et le point de vue de la certitude dans les désignations, comment aurions-nous donc le droit de dire : la pierre est dure - comme si « dure » nous était encore connu autrement et pas seulement comme une excitation toute subjective ! Nous classons les choses selon les genres, nous désignons l’arbre comme masculin, la plante comme féminine : quelles transpositions arbitraires ! Combien nous nous sommes éloignés à tire-d’aile du canon de la certitude ! Nous parlons d’un « serpent » : la désignation n’atteint rien que le mouvement de torsion et pourrait donc convenir aussi au ver. Quelles délimitations arbitraires ! Quelles préférences partiales tantôt de telle propriété d’une chose, tantôt de telle autre ! Comparées entre elles, les différentes langues montrent qu’on ne parvient jamais par les mots à la vérité, ni à une expression adéquate : sans cela, il n’y aurait pas de si nombreuses langues. La « chose en soi » (ce serait justement la pure vérité sans conséquences), même pour celui qui façonne la langue, est complètement insaisissable et ne vaut pas les efforts qu’elle exigerait. Il désigne seulement les relations des choses aux hommes et s’aide pour leur expression des métaphores les plus hardies. Transposer d’abord une excitation nerveuse en une image ! Première métaphore. L’image à nouveau transformée en un son articulé ! Deuxième métaphore. Et chaque fois saut complet d’une sphère dans une sphère tout autre et nouvelle. On peut s’imaginer un homme qui soit totalement sourd et qui n’ait jamais eu une sensation sonore ni musicale : de même qu’il s’étonne des figures acoustiques de Chiadni dans le sable, trouve leur cause dans le tremblement des cordes et jurera ensuite là-dessus qu’il doit maintenant savoir ce que les hommes appellent le « son », ainsi en est-il pour nous tous du langage. Nous croyons savoir quelque chose des choses elles-mêmes quand nous parlons d’arbres, de couleurs, de neige et de fleurs, et nous ne possédons cependant rien que des métaphores des choses, qui ne correspondent pas du tout aux entités originelles. Comme le son en tant que figure de sable, l’X énigmatique de la chose en soi est prise, une fois comme excitation nerveuse, ensuite comme image, enfin comme son articulé. Ce n’est en tout cas pas logiquement que procède la naissance du langage et tout le matériel à l’intérieur duquel et avec lequel l’homme de la vérité, le savant, le philosophe, travaille et construit par la suite, s’il ne provient pas de Coucou-les-nuages, ne provient pas non plus en tout cas de l’essence des choses. »

F. Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral (1873)

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« Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous […]. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes. »
         
H. Bergson

Questions soulevées par le film en lien avec le programme ou au-delà :

·       La culture est-elle un rempart contre la barbarie ?
·       La culture nous rend-elle plus humain ?
·       Le langage fait-il de nous des êtres plus évolués ?*
·       Le progrès technique est-il un facteur civilisationnel ?*
·       Peut-on montrer des concepts qui se pensent ?
·       La transcendance est-elle une nécessité existentielle ?
·       L’ordinateur peut-il supplanter l’humain ?
·       Tout développement de la technique court-il le risque de la violence ?
·       Le développement technique est-il une menace pour la liberté? 
·       Doit-on avoir peur de la technique ?*
·       Qu’attendons-nous de la technique ?*
·       L’homme est-il fondamentalement violent ? 
·       Le langage : un outil comme un autre ou une expression singulière ?**
·       Le langage ne sert-il qu’à communiquer ?**  
·       Faire comprendre : par l’émotion ou les idées ?

(*) Programme du bac ES et S
(**)      Programme bac ES seulement. 




Films (essentiels) en lien avec 2001, l’odyssée de l’espace et les notions abordées :

·       Toute l’œuvre de S. Kubrick notamment :
o   Docteur Folamour,
o   Orange mécanique,
o   Full metal Jacket
·       Les temps modernes (C. Chaplin)
·       Metropolis (F. Lang)
·       Ex-machina (Alex Garland)
·       Magnolia (Paul Thomas Anderson)
·       There will be blood (Paul Thomas Anderson)
·       Cloud Atlas
·       Ma nuit chez Maud (Eric Rohmer)
·       Mon oncle d’Amérique (Alain Resnais)



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