Vendredi 13 Décembre 2019
Salle 12
13h
Fiche technique :
Réalisateur : Mike Cahill
Acteurs : Michael Pitt, Astrid Berges-Frisbey, Brit Marling, Steven Yeun, Dorien Makhloghi
Genre : Science-fiction
Nationalité : Américain
Date de sortie : 24 septembre 2014
Durée : 1h 47mn
Filmographie :
2011 :
Another Earth
2014 :
I Origins
Comment
faire de la philosophie à partir du film de Mike Cahill,
I ORIGINS ?
Thèmes,
notions, concepts abordés :
La
raison – la science – La spiritualité – La croyance – La passion –
Le
mystère – Métempsychose* – Métensomatose** – La mémoire – La vérité
* La métempsycose
ou métempsychose (du grec ancien μετεμψύχωσις / metempsúkhôsis, déplacement
de l'âme, de μετά et ψυχή / psukhḗ) est le passage, le transvasement d'une âme dans un
autre corps, qu'elle va animer. Le métempsycosisme est la croyance selon
laquelle une même âme peut animer successivement plusieurs corps soit d'humains
soit d'animaux, ainsi que de végétaux : la transmigration des âmes peut
intervenir non seulement dans l'humain (réincarnation) mais encore dans le
non-humain, bêtes ou plantes.
** La métensomatose
(en grec ancien μετενσωματοσις) est une
doctrine selon laquelle le corps se réincarnerait dans un autre corps. Le mot
métensomatose signifie « déplacement du corps ». La métensomatose est
une variante de la réincarnation1. Elle serait
cependant physique et non psychique (comme dans métempsychose), c'est-à-dire
qu'elle transmettrait au nouveau corps des éléments de l'ancien.
« La science
sans la religion est boiteuse, la religion sans la science est aveugle. »
Albert Einstein
`
Il
ne faut pas voir la réalité́ telle que je suis.
Paul Eluard
« Il
suffit que nous parlions d’un objet pour nous croire objectifs. Mais par notre
premier choix, l’objet nous désigne plus que nous ne le désignons et ce que
nous croyons nos pensées fondamentales sur le monde sont souvent des
confidences sur la jeunesse de notre esprit. Parfois nous nous émerveillons
devant un objet élu ; nous accumulons les hypothèses et les rêveries ; nous
formons ainsi des convictions qui ont l’apparence d’un savoir. Mais la source
initiale est impure: l’évidence première n’est pas une vérité́ fondamentale. En
fait, l’objectivité́ scientifique n’est possible que si l’on a d’abord rompu
avec l’objet immédiat, si l’on a refusé la séduction du premier choix, si l’on
a arrêté́ et contredit les pensées qui naissent de la première observation.
Toute objectivité́, dûment vérifiée, dément le premier contact avec l’objet.
(…) Mais devant ce monde inerte qui ne vit pas de notre vie, qui ne souffre
d’aucune de nos
peines et que n’exalte aucune de nos joies, nous devons arrêter toutes les
expansions, nous devons brimer notre personne. Les axes de la poésie et de la
science sont d’abord inverses. Tout ce que peut espérer la philosophie, c’est
de rendre la poésie et la science complémentaires, de les unir comme deux
contraires bien faits. II faut donc opposer à l’esprit poétique expansif,
l’esprit scientifique taciturne pour lequel l’antipathie préalable est une
saine précaution. »
Psychanalyse
du feu,
Gaston Bachelard, « Avant-Propos »
« Un credo religieux (1) diffère
d’une théorie scientifique en ce qu’il prétend exprimer la vérité, éternelle et
absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle
s’attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou
tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable
d’arriver à une démonstration complète et définitive. Mais, dans une science
évoluée, les changements nécessaires ne servent généralement qu’à obtenir une
exactitude légèrement plus grande ; les vielles théories restent inutilisables
quand il s’agit d’approximations grossières, mais ne suffisent plus quand une
observation plus minutieuse devient possible. En outre, les inventions
techniques issues des vieilles théories continuent à témoigner que celles-ci
possédaient un certain degré de vérité pratique, si l’on peut dire. La science
nous incite donc à abandonner la recherche de la vérité absolue, et à y
substituer ce qu’on peut appeler la vérité “technique”, qui est le propre de
toute théorie permettant de faire des inventions ou de prévoir l’avenir. La
vérité “technique” est une affaire de degré : une théorie est d’autant plus
vraie qu’elle donne naissance à un plus grand nombre d’inventions utiles et de
prévisions exactes. La “connaissance” cesse d’être un miroir mental de
l’univers, pour devenir un simple instrument à manipuler la matière. Mais ces
implications de la méthode scientifique n’apparaissaient pas aux pionniers de
la science : ceux-ci, tout en utilisant une méthode nouvelle pour rechercher la
vérité, continuaient à se faire de la vérité elle-même une idée aussi absolue
que leurs adversaires théologiens (2). »
B.
Russell, Science et religion, 1935.
(1) credo religieux : affirmation d’une
croyance. (2) théologiens : ceux qui définissent le contenu de la croyance
religieuse.
« Les preuves de l’existence de Dieu »
L'argument de St Anselme peut être résumé de la façon suivante :
Proposition 1: Dieu est quelque
chose de tel que rien ne peut se penser de plus grand.
Proposition 2: Et il est bien
certain que ce qui est tel que rien ne peut se penser de plus grand ne peut
être seulement dans l'intellect.
Proposition 3: Car si c'est
seulement dans l'intellect, on peut penser que ce soit aussi dans la réalité,
ce qui est plus grand.
Proposition 4: Mais cela
est à coup sûr impossible.
Proposition 5: Il est donc
hors de doute qu'existe quelque chose de tel que rien ne peut se penser de plus
grand, et cela tant dans l'intellect que dans la réalité.
René DESCARTES
«
Je voulus chercher, après cela, d'autres vérités, et m'étant proposé l'objet
des géomètres, que je concevais comme un corps continu, ou un espace
indéfiniment étendu en longueur, largeur, et hauteur ou profondeur, divisible
en diverses parties, qui pouvaient avoir diverses figures et grandeurs, et être
mues ou transposées en toutes sortes, car les géomètres supposent tout cela en
leur objet, je parcourus quelques-unes de leurs plus simples démonstrations. Et
ayant pris garde que cette grande certitude, que tout le monde leur attribue,
n'est fondée que sur ce qu'on les conçoit évidemment, suivant la règle que j'ai
tantôt dite, je pris garde aussi qu'il n'y avait rien du tout en elles qui
m'assurât de l'existence de leur objet. Car, par exemple, je voyais bien que, supposant
un triangle, il fallait que ses trois angles fussent égaux à deux droits; mais
je ne voyais rien pour cela qui m'assurât qu'il y eût au monde aucun triangle.
Au lieu que, revenant à examiner l'idée que j'avais d'un être parfait, je
trouvais que l'existence y était comprise, en même façon qu'il est compris en
celle d'un triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits, ou en celle
d'une sphère que toutes ses parties sont également distantes de son centre, ou
même encore plus évidemment ; et que, par conséquent, il est pour le moins
aussi certain, que Dieu, qui est cet Être parfait, est ou existe, qu'aucune
démonstration de géométrie le saurait être. »
Discours sur la méthode
Argument
ontologique :
[Prémisse 1] : tout ce qui est clairement contenu dans l'idée d'une
chose, peut être affirmé avec vérité de cette chose.
[Prémisse 2] : or l'existence éternelle et nécessaire est
clairement contenue dans l'idée de Dieu.
[Conclusion] : donc il est vrai de dire que Dieu existe.
« Or maintenant, si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l’idée de quelque chose, il s’ensuit que tout ce que je reconnais clairement et distinctement appartenir à cette chose, lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l’existence de Dieu ? »
Méditations métaphysiques (5e)
Le mythe d’Aristophane
« Jadis notre nature n’était pas ce qu’elle est actuellement. D’abord
il y avait trois espèces d’hommes, et non deux comme aujourd’hui : le mâle, la
femelle, et en plus de ces deux-là, une troisième composée des deux autres ; le
nom seul en reste aujourd’hui, l’espèce a disparu. C’était l’espèce androgyne
qui avait la forme et le nom des deux autres, dont elle était formée. De plus
chaque homme était de forme ronde sur une seule tête, quatre oreilles, deux
organes de la génération, et tout le reste à l’avenant. […]
Ils étaient aussi d’une force et d’une vigueur extraordinaire, et comme
ils étaient d’un grand courage, ils attaquèrent les dieux et […] tentèrent
d’escalader le ciel […] Alors Zeus délibéra avec les autres dieux sur le parti
à prendre. Le cas était embarrassant ; ils ne pouvaient se décider à tuer les
hommes et à détruire la race humaine à coups de tonnerre, comme ils avaient tué
les géants ; car c’était mettre fin aux hommages et au culte que les hommes
leur rendaient ; d’un autre côté, ils ne pouvaient plus tolérer leur impudence.
Enfin, Zeus ayant trouvé, non sans difficulté, une solution, […] il
coupa les hommes en deux. Or, quand le corps eut été ainsi divisé, chacun,
regrettant sa moitié, allait à elle ; et s’embrassant et s’enlaçant les uns les
autres avec le désir de se fondre ensemble […]
C’est de ce moment que date l’amour inné des êtres humains les uns pour
les autres : l’amour recompose l’ancienne nature, s’efforce de fondre deux
êtres en un seul, et de guérir la nature humaine. […] Notre espèce ne saurait
être heureuse qu’à une condition, c’est de réaliser son désir amoureux, de
rencontrer chacun l’être qui est notre moitié, et de revenir ainsi à notre
nature première. »
"La science manipule les choses et
renonce à les habiter.
Elle s'en donne des modèles internes et, opérant sur ces indices ou variables
les transformations permises par leur définition, ne se confronte que de loin
en loin avec le monde actuel. Elle est, elle a toujours été, cette pensée
admirablement active, ingénieuse, désinvolte, ce parti pris de traiter tout
être comme "objet en général", c'est-à-dire à la fois comme s'il
n'était rien et se trouvait cependant prédestiné à nos artifices (...)
Il faut que la pensée de science -
pensée de survol, pensée de l'objet en général - se replace dans un "il y
a " préalable, dans le site, sur le sol du monde sensible et du monde
ouvré tels qu'ils sont dans notre vie, pour notre corps, non pas ce corps
possible dont il est loisible de soutenir qu'il est une machine à information,
mais ce corps actuel que j'appelle mien, la sentinelle qui se tient
silencieusement sous mes paroles et sous mes actes (...)
Or l'art et notamment la peinture
puisent à cette nappe de sens brut dont l'activisme ne veut rien savoir. Ils
sont même seuls à le faire en toute innocence. A l'écrivain, au philosophe, on
demande conseil et avis, on n'admet pas qu'ils tiennent le monde en
suspens, on veut qu'ils prennent position, ils ne peuvent décliner les
responsabilités de l'homme parlant. La musique, à l'inverse, est trop en deçà
du monde et du désignable pour figurer autre chose que des épures de l'Être,
son flux et son reflux, sa croissance, son éclatement, ses tourbillons.
Le peintre est seul à avoir droit
de regard sur toutes choses sans aucun devoir d'appréciation. On dirait que
devant lui les mots d'ordre de la connaissance et de l'action perdent leur
vertu (...)
Il est là, fort ou faible dans la
vie, mais souverain sans conteste dans sa rumination du monde, sans autre
"technique" que celle que ses yeux et ses mains se donnent à force de
voir, à force de peindre, acharné à tirer de ce monde où sonnent les scandales
et les gloires de l'histoire des toiles qui n'ajouteront guère aux colères ni
aux espoirs des hommes, et personne ne murmure.
Quelle est donc cette science
secrète qu'il a ou qu'il cherche ? Cette dimension selon laquelle Van Gogh veut
aller "plus loin" ? Ce fondamental de la peinture, et peut-être de
toute culture ? "
Maurice
Merleau-Ponty, L'Oeil et l'Esprit, extraits du chapitre I
« C'est encore
et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre croyance en la
science, - nous autres qui cherchons aujourd'hui la connaissance, nous autres
sans-dieu et antimétaphysiciens, nous puisons encore notre feu à l'incendie
qu'une croyance millénaire a enflammé, cette croyance chrétienne qui était
aussi celle de Platon, que Dieu est la vérité et que la vérité est divine...
Mais quoi, si cela
même se discrédite de plus en plus, si rien ne se révèle plus comme divin,
sinon l'erreur, l'aveuglement, le mensonge - si Dieu même se révèle comme notre
plus durable mensonge ?- Ici, il convient de s'arrêter et de bien réfléchir. La
science elle-même a désormais besoin d'une justification (par quoi il n'est pas
encore dit qu'elle en possède une) . Consultez à ce propos les philosophies les
plus anciennes et les plus récentes : aucune n'a conscience que la volonté de
vérité elle-même a besoin d'une justification. C'est là une lacune de toute
philosophie - D'où vient cela ? Du fait que jusqu'ici l'idéal ascétique a dominé toutes les
philosophies, du fait que la vérité était posée comme Être, comme Dieu, comme
instance suprême, du fait que la vérité ne devit aucunement être un problème.
Comprend-on ce "devait" ? Dès qu'est nié la croyance dans le Dieu de
l'idéal ascétique, se pose un nouveau problème : celui de la valeur de la
vérité. "
Parag. 24 de la
"Troisième dissertation" de la Généalogie de la morale, Nietzsche
« Avec
quelque soin que j’aie pu l’observer, je n’ai su lui trouver de passion
d’aucune espèce que celle qu’il a pour moi. Encore cette passion est-elle si égale et si
tempérée, qu’on dirait qu’il n’aime qu’autant qu’il veut aimer, et qu’il ne le
veut qu’autant que la raison le permet. »
Jean-Jacques ROUSSEAU – La nouvelle Héloïse
« La
passion amoureuse ou un haut degré d'ambition ont changé des gens raisonnables
en fous qui déraisonnent. »
EMMANUEL KANT
“Ce qu’on n’a
pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets de l’amour” “Chacun cherche sa moitié”
“Existe-t-il plaisir plus grand ou plus vif que l’amour physique ? Non, pas plus qu’il n’existe plaisir plus déraisonnable”
“Touché par l’amour, tout homme devient poète”
Platon
– Ces expériences,
ajouta le Capitaine, sont les plus remarquables. Elles nous montrent les
attractions, les affinités et les répulsions d’une manière palpable et dans
leur action croisée, puisque deux substances unies brisent, au premier contact
de deux autres substances également unies, leur ancien lien pour former un lien
nouveau de deux à deux, avec les deux substances nouvellement survenues. C’est
dans ce besoin d’abandonner et de fuir, de chercher et de saisir, que nous
croyons reconnaitre l’influence d’une destinée suprême qui, en donnant à ces
substances la faculté́ de vouloir et de choisir, justifie complètement le mot
affinité́ élective adopté par les chimistes.
– Citez-moi, je vous
prie, un de ces cas, dit Charlotte.
– Je vous le répète,
madame, ce n’est pas par des paroles, mais par des expériences chimiques que je
me propose de satisfaire votre curiosité́ ; je ne veux pas vous effrayer par
des termes techniques, mais vous éclairer par des faits. Il faut voir devant ses
yeux les matières inertes en apparence, et cependant toujours prêtes à agir
selon les impulsions de leurs facultés intérieures. Il faut les voir, dis-je,
se chercher, s’attirer, se saisir, se dévorer, se détruire, s’anéantir et
reparaitre, après une nouvelle et mystérieuse alliance, sous des formes
nouvelles et inattendues. C’est alors, seulement, que nous pouvons leur
accorder une vie immortelle, des sens, de la raison même, car nos sens et notre
raison suffisent à peine pour les observer, pour les juger.
Les Affinités électives, Goethe, chapitre
IV
“La vraie voie de l’amour, c’est de partir des beautés sensibles
et de monter sans cesse vers cette beauté surnaturelle en passant par échelons
d’un beau corps à deux, de deux à tous, puis des beaux corps aux belles
actions, puis des belles actions aux belles sciences, pour aboutir à cette
science qui n’est autre chose que la science de la beauté absolue”
Le Banquet, Platon
« La science a beaucoup d’ennemis déclarés, et encore
plus d’ennemis cachés, parmi ceux qui ne peuvent lui pardonner d’avoir ôté à la
foi religieuse sa force et de menacer cette foi d’une ruine totale. On lui
reproche de nous avoir appris bien peu et d’avoir laissé dans l’obscurité
incomparablement davantage. Mais on oublie, en parlant ainsi, l’extrême
jeunesse de la science, la difficulté de ses débuts, et l’infinie brièveté du
laps de temps écoulé depuis que l’intellect humain est assez fort pour
affronter les tâches qu’elle lui propose. Ne commettons-nous pas, tous tant que
nous sommes, la faute de prendre pour base de nos jugements des laps de temps
trop courts ? Nous devrions suivre l’exemple des géologues. On se plaint
de l’incertitude de la science, on l’accuse de promulguer aujourd’hui une loi
que la génération suivante reconnaît pour une erreur et remplace par une loi
nouvelle qui n’aura pas plus longtemps cours. Mais ces accusations sont
injustes et en partie fausses. La transformation des opinions scientifiques est
évolution, progrès, et non démolition. Une loi, que l’on avait d’abord tenue
pour universellement valable, se révèle comme n’étant qu’un cas particulier
d’une loi (ou d’une légalité) plus générale encore, ou bien l’on voit que son
domaine est borné par une autre loi, que l’on ne découvre que plus tard ;
une approximation en gros de la vérité est remplacée par une autre, plus
soigneusement adaptée à la réalité, approximation qui devra attendre d’être
perfectionnée à son tour. Dans divers domaines, nous n’avons pas encore dépassé
la phase de l’investigation, phase où l’on essaie diverses hypothèses qu’on est
bientôt contraint, en tant qu’inadéquates, de rejeter. Mais dans d’autres nous
avons déjà un noyau de connaissances assurées et presque immuables. »
L’Avenir d’une illusion (1927), Sigmund Freud
« Les théories ne sont donc jamais
vérifiables empiriquement (…) Toutefois j’admettrai certainement qu’un système
n’est empirique ou scientifique que s’il est susceptible d’être soumis à des
tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c’est la falsifiabilité et
non la vérifiabilité d’un système qu’il faut prendre comme critère de
démarcation. En d’autres termes, je n’exigerai pas d’un système scientifique
qu’il puisse être choisi une fois pour toutes, dans une acception positive mais
j’exigerai que sa forme logique soit telle qu’il puisse être distingué, au
moyen de tests empiriques, dans une acception négative : un système
faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par
l’expérience. »
La logique de la découverte scientifique, 1934 Karl Popper
« Le pari de Pascal » : « — Examinons donc ce point, et
disons : « Dieu est, ou il n'est pas. » Mais de quel côté
pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un
chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance
infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous
ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison, vous ne pouvez défaire nul des
deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous
n'en savez rien. — Non ; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix,
mais un choix; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en
pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point
parier. — Oui, mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes
embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir,
voyons ce qui vous intéresse le moins. (...). Votre raison n'est pas plus
blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement
choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la
perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous
gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il
est, sans hésiter. »
Blaise Pascal, Pensées, fragment 397.
VOCABULAIRE et NOTIONS
LA RAISON
La
raison est la faculté qui nous rend capable de considérer les choses telles
qu'elles sont en elles-mêmes, en faisant abstraction de nos préjugés, de nos
intérêts, de nos sentiments. Elle a donc un usage théorique, la
connaissance, et un usage pratique, la morale et la politique.
L'usage
théorique de la raison : prise en elle-même, une chose est la même pour
tous les hommes; la raison permet de penser l'universalité du vrai (un
théorème de mathématique par exemple); par voie de conséquence elle permet a)
de faire la différence entre ce qui est vrai et ce qui est faux; b) entre celui
qui a raison et celui qui a tort.
Raisonner
c'est alors s'efforcer de trouver soit une preuve ou soit une démonstration de
ce qu'on affirme.
Une
preuve est un élément matériel qui permet d'infirmer ou de confirmer
un énoncé (une hypothèse par exemple).
Une
démonstration est un enchaînement de propositions qui se déduisent
logiquement les uns des autres et qui conduit à une conclusion objectivement
nécessaire.
Le
raisonnement met en œuvre différents types d’opérations intellectuelles,
principalement la déduction et l’induction, essentiellement distinctes de
l’intuition.
La
déduction : c’est une opération intellectuelle par laquelle
l’esprit passe d’une idée à sa conséquence logique (si tous les hommes sont
mortels, alors Socrate l’est aussi ; si A/B = C/D alors BC = AD).
L’induction :
c’est l’opération intellectuelle par laquelle l’esprit énonce une proposition
générale à partir de l’observation d’un grand nombre de cas semblables (son
caractère scientifique est contesté : ce n’est pas parce que je vois mille
cygnes blancs que je peux affirmer que les cygnes sont des oiseaux blancs).
L’iintuition
: c’est un rapport immédiat de l’esprit à la réalité (exemple : je sais
que je suis et je sais qui je suis intuitivement, sans avoir besoin de
l’établir par raisonnement).
L’évidence :
c’est la caractéristique de ce qui s’impose de soi comme vrai à l’esprit :
il suffit de considérer la proposition « tout nombre à un
successeur » pour la savoir vrai, sans avoir besoin d’y réfléchir ou de la
démontrer. C’est pourquoi Descartes fera de l’évidence le critère de la
vérité : si une proposition est évidente (« je pense donc je
suis », par exemple), alors elle est vraie.
L'usage
pratique de la raison : lorsqu'on fait usage de sa raison on considère les
choses de façon dépassionnée, on fait abstraction de ses sentiments, de ses
intérêts ou de ses préjugés. La raison permet donc de penser et d'agir suivant
des principes objectifs plutôt que suivant le caprice ou l'humeur du moment.
Raisonner c’est alors rechercher les principes éthiques et politiques devant
gouverner notre conduite.
Être
rationnel c’est n’accorder de crédit et réalité qu’à ce qui est
conforme aux exigences de la raison scientifique. De façon générale, c’est
refuser toutes les formes du surnaturel (miracle, astrologie, superstition,
phénomènes dits « paranormaux » etc).
Être
raisonnable c’est être capable de maîtriser ses désirs et ses
intérêts, de contrôler ses impulsions. Ce qui revient à faire de ce que
nous montre notre raison le principe de notre conduite.
La
vérité est la propriété des énoncés qui s’accordent avec la réalité.
Elle est contraire à toutes les formes de la fausseté : le mensonge,
l’erreur, l’illusion. Elle se distingue de ce qui n’est qu’opinion. En ce sens
vérité est synonyme de savoir (chercher la vérité, c’est chercher à savoir).
Le
providentialisme est la doctrine qui consiste à croire que Dieu a tout
conçu et créé pour le bien de l'homme (« Dieu y a pourvu »).
Le
finalisme, qui est semblable à la précédente, est la doctrine qui
consiste à croire que ce qui existe est le résultat de la volonté d’une cause
organisatrice (que le réel est une création suivant un plan).
Le
matérialisme, au sens courant est l’attitude qui consiste à
n’accorder d’attention et de valeur qu’aux jouissances procurées par les biens
matériels. Syn. Consumérisme. Au sens philosophique c’est la doctrine
pour laquelle seule la matière existe, donc qui n’accorde de réalité qu’à ce
qui est corporel et tangible.
LA CROYANCE
C'est
une notion complexe.
Je
crois qu'il pleuvra demain : j’affirme une hypothèse.
Je
crois en dieu : j'affirme l'existence de quelque chose.
Je
crois en la démocratie : j'affirme la valeur de quelque chose.
Croire
c'est donc tenir pour vrai ou tenir pour valable. Etymologiquement
c'est en effet accorder du crédit à quelque chose ou accorder sa confiance à
quelqu'un. Mais personne ne peut être certain que sa confiance ne sera pas
trahie ou que ce à quoi il croit est vrai. La croyance consiste alors à
affirmer la réalité ou la valeur de quelque chose, avec une force variable,
mais sans pouvoir appuyer cette affirmation sur une preuve objective. En ce
sens la croyance est toujours une lacune du savoir : on croit faute de
savoir ou de pouvoir savoir.
Il
y a plusieurs formes et plusieurs degrés de croyance.
L'opinion,
qui est un avis personnel auquel on adhère de façon variable.
La
conviction, qui est un avis fondé sur une réflexion auquel on adhère
assez fortement. La conviction détermine souvent un engagement chez le sujet
« avoir ses conviction » ; « être un homme ou une femme de
conviction »).
La
foi, qui est un engagement très fort, voire total, au nom d'une
certitude intime. C’est par exemple le cas de la foi religieuse : avoir foi en
dieu c'est affirmer que Dieu existe au nom d'une certitude intime vécue que
tout le monde ne possède pas.
Remarque :
La foi franchit la distance entre croire et savoir. Avoir la foi (en dieu, dans
une cause) revient à affirmer fortement, quelque fois de tout son être,
l’existence ou la valeur d’une chose au nom d’une certitude personnelle, donc
subjective et in-objectivable. Il n'est donc pas possible de démontrer la
réalité ou la valeur de l'objet de la foi sans la nier comme foi. On ne peut
qu’attester (témoigner) de sa foi par son engagement.
Se
pose donc le problème de la légitimité de la foi, de la valeur de ses
prétentions par rapport aux exigences de la raisons, du savoir, de la science.
Qu'est-ce qui va bien pouvoir distinguer la foi de croyances irrationnelles
comme le sont les superstitions ? D’où des questions comme Faut-il
distinguer entre religion et superstition ? Y a-t-il des raisons de
croire ?
En
lien avec le concept de croyance, nous trouvons :
La
religion : une religion est un ensemble de dogmes et de rites
formant la foi commune d’un groupe. Le noyau de la foi religieuse réside dans
l’affirmation qu’il existe un ordre surhumain, l'ordre du divin, auquel les
hommes doivent obéissance et respect. Dans les monothéismes, le noyau de la foi
consiste dans l’affirmation qu’il existe un être suprême auteur de ce qui
existe et garant de la différence entre le bien et le ma : Dieu, fondement
de l’être et des valeurs.
La
religion suppose la distinction entre sacré et profane.
Est
sacré tout ce qui s'impose comme l'objet d'un respect obligatoire ; à
l’origine et dans sa signification strictement religieuse, appartient au sacré
tout ce qui se rapporte à l'ordre caché du divin (qui est pour cette raison
l’objet d’un respect obligatoire).
Est
profane, étymologiquement « ce qui est hors du temple », à
savoir le monde profane du quotidien, tel qu'il est vu et perçu.
La
superstition est une attitude irrationnelle fondée sur la croyance
dans l'existence et dans l'action du surnaturel.
La
crédulité est l'absence d'esprit critique, qui conduit à admettre même
les idées les plus absurdes.
Le
fanatisme est l'attitude intolérante et violente de celui qui est
persuadé de détenir la vérité et qu'on peut craindre être un excès de foi,
voire un excès de la foi.
Questions
soulevées par le film en lien avec le programme ou au-delà :
· La science et la religion
poursuivent-elles les mêmes buts ? *)
· Croyances religieuses et
conviction scientifiques : Mêmes légitimités ?
· Peut-on démontrer
l’existence de Dieu ?
· Peut-on connaître nos
origines ?
· L’amour peut-il faire
changer notre compréhension du monde ?)
· Peut-on faire confiance à
nos sens ?
· Quelle transmission d’une
génération à l’autre ?)
· La fiction peut-elle
anticiper des découvertes scientifiques ?
· Qu’est-ce qui distingue
science et religion ? *
· Existe-t-il une vérité
absolue ? *
· L’amour passion est-il
nécessairement destructeur ?*
· L’émotion peut-elle surgir
de la rationalité ?)
· Peut-on combattre une
croyance par le raisonnement ? *
· La science est-elle seule
détentrice de la vérité ? *
· Faut-il faire l’expérience
de quelque chose pour le connaître ? *
· Toute vérité est-elle
démontrable ? *
· Suffit-il de démontrer pour
convaincre ? *
· Est-il raisonnable de donner
un sens à tout ? **)
· Peut-on étudier l’esprit
comme on étudie la matière ? *
(*) Programme
du bac ES et S
(**) Programme
bac ES seulement.
Films en lien
avec I
ORIGINS et les notions abordées :
· Babel
· Another Earth (même
réalisateur)
· Le rayon vert
· La double vie de Véronique
· Bleu
· L’homme qui défiait l’infini
· Va, vis et devient.
· Cloud Atlas
· L’étrange histoire de
Benjamin Button
· The O.A. (série écrite par
B. Marling) 2 saisons
· Interstellar
"Tu sais, Eryximaque", reprit Aristophane, "J'ai l'intention de parler de l'amour tout autrement que toi et que Pausanias : il me semble que les hommes ont tout à fait ignoré la puissance d'Éros; s'ils la connaissaient, ils lui construiraient des temples grandioses et des autels, lui feraient des sacrifices somptueux; pour le moment, rien de tel en son honneur, alors qu'il le faudrait par-dessus tout.
Il est, de tous les dieux, le plus philanthrope, le protecteur des humains, et médecin de maux qui, s'ils étaient guéris, le plus parfait bonheur en résulterait pour la race des hommes. Je tenterai donc de vous exposer sa puissance, et vous l'enseignerez ensuite aux autres. Mais il vous faut d'abord apprendre la nature humaine et ses passions. En effet, notre nature originelle n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, loin de là. D'abord il y avait trois genres, chez les hommes, et non pas deux comme aujourd'hui, le masculin et le féminin; un troisième était composé des deux autres: le nom en a subsisté, mais la chose a disparu : alors le réel androgyne, espèce et nom, réunissait en un seul être le principe mâle et le principe femelle; il n'en est plus ainsi, et le nom seul est demeuré, comme une injure. Ensuite, chaque homme avait la forme d'une sphère, avec le dos et les côtes en arc, quatre mains, autant de jambes, et deux faces reliées à un cou arrondi, tout à fait identiques; pour ces deux faces opposées, un seul crâne, mais quatre oreilles, les pudenda en double, et tout le reste, que l'on peut imaginer, sur le même modèle. Notre homme pouvait se promener où il voulait, comme aujourd'hui, en station droite; et quand il éprouvait le besoin de courir, il s'y prenait comme nos équilibristes qui font la grande roue en lançant leurs jambes en l'air : grâce aux huit membres sur lesquels ils prenaient appui, ils avançaient très vite en roulant. S'il y avait trois genres, et tels que j'ai dit, c'est que le premier, le mâle, était originellement fils du soleil, le second, femelle, tiré de la terre, et le troisième, participant des deux, de la lune, parce que la lune aussi a cette double participation.
Ils avaient, je l'ai dit, une forme sphérique, et se déplaçaient circulairement, de par leur origine; de là aussi venaient leur force terrible et leur vigueur. Ayant alors conçu de superbes pensées, ils entreprirent contre les dieux, et cc que dit Homère d'Éphialte et d'Otos, que ceux-ci entreprirent de monter jusqu'au ciel pour attaquer les divins, on le dit aussi d'eux. Alors Zeus et les autres dieux délibérèrent sur le châtiment à leur infliger, et ils savaient que faire : pas moyen de les tuer, comme pour les géants, de les foudroyer et d'anéantir leur race - ce serait supprimer les honneurs et le culte que leur rendent les hommes - ni de tolérer leur insolence. Après une pénible méditation, Jupiter donc enfin son avis: " Je crois qu'il y a un moyen pour qu'il reste des hommes et que pourtant, devenus moins forts, ceux-ci soient délivrés de leur démesure; je m'en vais couper chacun en deux, ils deviendront plus faibles, et, du même coup, leur nombre étant grossi, ils nous seront plus utiles; deux membres leur suffiront pour marcher; et s'ils nous semblent récidiver dans l'impudence, je les couperai encore en deux, de telle sorte qu'il leur faudra avancer à cloche-pied. " Sitôt dit, sitôt fait : Zeus coupa les hommes en deux, comme on coupe la comme pour la faire sécher, ou l'oeuf dur avec un cheveu. Chacun ainsi divisé, il prescrivit à Apollon de lui tourner le visage, et sa moitié de cou du côté de la coupure, afin qu'à se bien voir ainsi coupé, I ‘homme prît le sens de la mesure; pour le reste qu'il le guérît ! Apollon donc retourna le visage, et tira de partout sur cc qu'on appelle maintenant le ventre, serra comme sur le cordon d'une bourse autour de l'unique ouverture qui restait, et ce fut ce qui est maintenant appelé le nombril. Quant aux plis que cela faisait, il les effaça pour la plupart, il modela la poitrine, avec un outil assez semblable à celui dont usent les cordonniers pour aplanir les cuirs sur la forme; mais il laissa quelques plis, sur le ventre, autour du nombril, destinés à lui rappeler ce qu'il avait subi à l'origine. Une fois accomplie cette division de la nature primitive, voilà que chaque moitié, désirant l'autre, allait à elle; et les couples, tendant les bras, s'agrippant dans le désir de se réunir, mouraient de faim et aussi de paresse, car ils ne voulaient rien faire dans l'état de séparation. Lorsqu'une moitié périssait, la seconde, abandonnée, en recherchait une autre à qui s'agripper, soit qu'elle fût une moitié de femme complète - ce que nous appelons femme aujourd'hui -, soit la moitié d'un homme, et la race s'éteignait ainsi. Pris de pitié, Zeus imagine alors un moyen : il déplace leurs sexes et les met par devant - jusque-là ils les avaient par derrière, engendrant et se reproduisant non les uns grâce aux autres, mais dans la terre comme font les cigales. Il réalisa donc ce déplacement vers l'avant, qui leur permit de se reproduire centre ceux, par pénétration du mâle dans la femelle, et voici pourquoi : si, dans l'accouplement, un mâle rencontrait une femelle, cette union féconde propagerait la race des hommes; si un mâle rencontrait un mâle, ils en auraient bien vite assez, et pendant les pauses, ils s'orienteraient vers le travail et la recherche des moyens de subsister. De fait, c'est depuis lors, que l'amour mutuel est inné aux hommes, qu'il réassemble leur nature primitive, s'attache à restituer l'un à partir du deux, et à la guérir, cette nature humaine blessée. Chacun de nous est donc comme un signe de reconnaissance, la moitié d'une pièce, puisqu'on nous a découpés comme les soles en deux parts; et chacun va cherchant l'autre moitié de sa pièce : tous ceux, alors, parmi les hommes, qui proviennent de l'espèce totale, de ce que l'on appelait l'androgyne, aimant les femmes; la plupart des hommes adultères ont même origine, ainsi que les femmes qui aimant les hommes et celles qui trompent leurs maris. Pour les femmes qui sont issues de la division d'une femme primitive, elles ne prêtent pas spontanément attention aux hommes, se tournent plu tôt vers les autres femmes, et ce sont nos tribades. Enfin, tous ceux qui proviennent de la division d'un pur mâle, ceux-là chassent le mâle; tant qu'ils sont enfants, en vraies petites tranches de mâle, ils recherchent les adultes, aiment à coucher avec eux et se faire embrasser, et ce sont les meilleurs, entre les garçons et les jeunes gens, parce que les plus proches du courage viril; on a tort de les dire impudiques; ce n'est pas l'impudeur qui les meut mais la hardiesse, le courage, la crânerie virile, dans la recherche de ce qui leur ressemble; et en voici une bonne preuve : au terme de leur développement, ils sont les seuls à s'occuper de politique; à l'âge viril, ils aiment les garçons, et s'ils songent à se marier, à faire des enfants, ce n'est pas spontanément, mais sous la contrainte de l'usage; leurs goûts les portent plutôt à vivre entre eux, et sans mariage, de toute nécessité, un homme de cette espèce doit aimer les garçons et rechercher l'amour, en s'attachant à cc qui a même origine que lui.
Ainsi lorsque les amants - amoureux des garçons, ou dans tout autre amour - ont rencontré justement la moitié qui est la leur, c'est miracle comme ils sont empoignés par la tendresse, le sentiment de parenté, et l'amour; ils ne consentent plus à se diviser l'un de l'autre, pour ainsi dire, même un instant. Et tels sont bien ceux qui demeurent ensemble jusqu'au terme de leur vie, et qui ne pourraient même pas définir ce qu'ils attendent l'un de l'autre ! Il est invraisemblable que la jouissance physique explique leur si vif désir d'être ensemble : leurs âmes, de toute évidence, désirent autre chose, qu'ils ne peuvent pas dire, mais qu'ils pressentent et insinuent. Si Héphaistos, lorsqu'ils se tiennent ensemble, leur apparaissait, tenant ses outils et leur disait: "hommes ! que cherchez-vous à devenir en vous unissant ainsi? " ... et si, devant leur embarras il leur demandait, de nouveau: " n'est-ce pas là votre désir, de vous assimiler l'un à l'autre autant que possible, et de ne vous quitter ni la nuit ni le jour ? Si c'est bien cc que vous voulez, je veux bien, moi, vous fondre ensemble, vous river l'un à l'autre, et des deux que vous êtes faire un seul : ainsi tant que vous vivrez, ce sera comme un seul être d'une commune vie, et lorsque vous mourrez, même là-bas, chez Hadès, vous ne serez pas deux morts, mais une ombre unique. Réfléchissez, si c'est là votre amour et si cet avenir vous comble... " Alors nous savons bien qu'en réponse aucun amant ne dirait non, ni ne manifesterait d'autre désir; il croirait avoir entendu la simple expression de son propre désir d'une réunion et combinaison en un seul, de deux qu'ils étaient, avec ce qu'il aime. La cause s'en trouve dans notre primitive nature, dans la totalité qui faisait notre être; et le désir, la chasse de cette totalité s'appelle l'amour; auparavant, je l'affirme, nous étions un, et maintenant, pour notre injustice, nous avons été divisés par les dieux, comme les Arcadiens par Lacédémone. Il est donc à redouter, si nous manquons de mesure à l'égard des dieux, qu'ils ne nous coupent derechef en deux, et que nous ne restions semblables à ces figures sur les stèles, coupées suivant le profil du nez, ou comme les demi-jetons qui permettent de se reconnaître ! Autant de motifs qui engagent tout homme à la piété envers les dieux, et à y exhorter son prochain, afin d'échapper à cc que l'on redoute et d'atteindre ce que l'on désire, comme fait Éros notre guide et notre chef, que nul n'entre en conflit avec lui - et ce conflit éclate dès que nous concourons la haine divine - mais si nous retrouvons les faveurs du dieu, si nous nous réconcilions avec lui, nous découvrirons et approcherons l'autre partie de nous-mêmes nos amours, aventure qui arrive à bien peu aujourd'hui ! Et je prie Éryximaque de ne pas faire le railleur en prétendant que je veux parler de Pausanias et d'Agathon - peut-être bien qu'ils sont du nombre de ceux dont je parle, et que tous deux possèdent cette nature mâle - mais je parle de tous hommes et femmes, et j'assure que notre race atteindrait au bonheur si seulement nous allions au bout de notre amour, et si chacun, rencontrant les amours qui sont faites pour lui, revenait à sa nature originelle. Si tel est le bien suprême, nécessairement, parmi tous les objectifs aujourd'hui à notre portée, celui qui s'en rapproche le plus est le plus beau : et c'est de rencontrer l'ami naturel de son coeur. Notre hymne à la cause divine de cette rencontre, comment ne monterait-il pas vers Éros qui présentement nous est le plus utile, car il nous guide vers ce qui est fait pour nous et, quant à l'avenir, si nous gardons la piété envers les dieux, il nous apporte l'espérance supérieure d'une restitution de notre nature originelle, d'une guérison qui nous donnera le bonheur et la joie ?
Platon, Banquet, 189d-193d
Interview du
réalisateur : La science
vue par Mike Cahill
La science qui était déjà au coeur
de "Another Earth", votre premier long métrage. En quoi ce thème vous
fascine-t-il ?
Laissez-moi vous faire un dessin : le premier cercle
représente tout ce que nous savons le mercredi, et le second tout ce que nous
savons le jeudi. La croissance entre les deux, on la doit à la science. Si nous
en savons plus le jeudi que le mercredi, c'est grâce au travail des scientifiques.
Les artistes veulent raconter des histoires à partir de choses qu'ils savent,
tout en racontant de nouvelles choses. Et la nouveauté se situe dans cet
espace. J'admire les scientifiques et trouve beaucoup d'inspiration dans leur
travail, car je peux m'appuyer dessus pour approcher les émotions humaines.
Avez-vous fait de nombreuses
recherches pour établir cette partie scientifique de "I Origins" ?
Beaucoup. Mes frères aînés sont tous deux des
scientifiques donc j'ai fait les recherches les plus paresseuses qui soient, en
traînant avec eux, et en les accompagnant dans leurs laboratoires. Non, j'ai
quand même fait plus de recherches que ça, en regardant notamment la façon
d'extraire de l'ADN. Mais tout ce que l'on voit dans le film existe et proviennent
d'expériences auxquelles j'ai assisté.
Tout ce que l'on voit dans le film existe
Même si l'aspect scientifique du
film repose sur des choses qui existent déjà, peut-on quand même dire qu'il
s'agit de science-fiction ?
Il est difficile de ranger le film dans une catégorie.
La classification sert généralement au marketing, et les genres peuvent aider à
maximiser le nombre de spectateurs. Mais ce ne sont que des raccourcis : I
Origins est-il un film de science-fiction ? Non, pas vraiment. C'est un drame.
Une histoire de "science, fiction" et non
"science-fiction". Une fiction qui utilise la science. Mais s'il y
avait un genre appelé "science/esprit/fiction/drame", il rentrerait
dedans. Mais il faut quelque chose comme 40 films pour créer un genre, comme le
found footage, qui est nouveau et qui est né parce que beaucoup de longs
métrages y correspondent. Il nous faut encore inspirer plusieurs réalisateurs
pour officialiser le mien.
J'ai lu que vous aviez écrit le rôle
principal pour Michael Pitt : en quoi vous semblait-il parfait pour incarner ce
personnage ?
Premièrement c'est un acteur brillant. Ses choix sont
surprenants et authentiques et je trouve ça excitant : si un personnage doit
faire un choix surprenant mais que cela paraît authentique, c'est pour moi la
recette d'une performance incroyable. Ce n'est pas forcément ce à quoi l'on
s'attend, mais c'est entièrement crédible. Michael possède cette aptitude,
et je ne l'avais jamais vu dans un tel rôle auparavant.
Mais je sentais qu'il avait ça en lui : il me faisais
plus penser à un scientifique que la façon dont le cinéma les présente en
général. Il y a tellement de clichés dans les films, alors qu'ils ne sont pas
comme ça. Michael est quelqu'un de cool, badass et talentueux, et
j'éprouve la même chose pour lui, en tant qu'artiste, que pour les
scientifiques. Donc boum !, rassembler ces deux idées est juste parfait.
Il se dit également que le choix
d'Astrid Bergès-Frisbey a été motivé, entre autres, par ses yeux.
La vraie raison, c'est qu'elle est talentueuse et
brillante, et nous aurions pu lui donner ces yeux par ordinateur, comme c'est
le cas avec la petite fille [que Michael Pitt croise en Inde, ndlr]. Mais il se
trouve qu'Astrid a VRAIMENT ces yeux. Ça n'est pas tout à fait ce qui a motivé
mon choix, mais c'était un vrai bonus qu'elle possède des yeux magnifiques. Et
particuliers : marrons au centre et verts sur l'extérieur.
Ce qui est très rare.
Oui. On appelle ça une hétérochromie
sectorielle et seule une personne sur plusieurs milliers la possède.
Vous dirigez à nouveau Brit Marling,
qui était co-scénariste sur "Another Earth". A-t-elle travaillé avec
vous sur le scénario de "I Origins", même si elle n'était qu'actrice
?
Brit est une collaboratrice merveilleuse. Elle ne
m'a pas donné de conseils particuliers sur le scénario, car elle aimait l'idée
de n'être que l'interprète de Karen. Mais c'est quelqu'un dont l'opinion et
l'intelligence sont des atouts incroyables, dont on peut tirer parti. Je ne
suis pas vraiment un dictateur sur le plateau : il y a des choses très
spécifiques que je veux faire, mais je suis également ouvert aux suggestions de
personnes dont je sais qu'elles font bien leur travail. Si vous passez des
heures à travailler pour approfondir votre personnage, je sais que je peux vous
faire confiance, car ça signifie que vous avez plongé profondément, vers le
fond de l'océan. Donc si vous en rapportez des cailloux, j'aurais forcément
envie d'y jeter un oeil.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville
le 11 septembre 2014
« La science sans la religion est boiteuse, la religion sans la science est aveugle. »
L’intérêt majeur de ce film réside dans la rencontre inhabituelle entre la rationalité et la fiction. De cette rencontre émerge du film une poésie originale qui renvoie au spectateur son propre questionnement sur la vie et donc la mort ainsi que du sens que l’on rattache à ces dernières. Et en particulier la question de l’existence de « Dieu ».
La rationalité est ici incarnée dans la science et en particulier dans la recherche scientifique autour de l’œil. Tout ce qui nous est montré procède de la démarche scientifique telle qu’on pourrait la rencontrer dans n’importe quelle université. Le principe d’induction, de déduction, de doute et de volonté de vérité (Socrate et Nietzsche) sont parfaitement retranscrits. Le spectateur adhère ainsi au discours filmique plus aisément et permet au réalisateur d’instaurer dès les premières séquences (et dans celles de la seconde partie) un climat propice au réalisme, donc à une forme de vérité authentique. La rencontre amoureuse prend un sens très différent dans ce contexte. Lorsqu’il rencontre cette fille mystérieuse très encline à la spiritualité et en tombe amoureux.
SL