samedi 1 décembre 2018

Fragments

(Extraits écrits) 

« Le problème n'est plus d'amener les gens à s'exprimer mais de fournir des petits moments de solitude et de silence dans lesquels ils peuvent trouver quelque chose à dire. Les forces d'oppression n'empêchent pas les gens de s'exprimer, elles les forcent au contraire à s'exprimer. Quel soulagement que de n'avoir rien à dire, le droit de ne rien dire, parce que seulement à ce moment il devient possible de saisir cette chose rare et toujours plus rare : ce qui vaut la peine d'être dit. »
Gilles Deleuze Pourparlers 1972-1990


Enseigner c’est tendre vers un idéal asymptotique de la transmission.

Il existe dans toute recherche primitive une volonté d’intégration du passé.

Pourquoi tant de bonheurs surgissent avant ou après l’action ?

Pour penser le complexe il faut penser à la fois le réel et l’imaginaire.

Lorsque dans une activité humaine la répétition devient lassitude et prend le dessus sur le plaisir, le désir se meurt.

Enseigner les mathématiques c’est développer une taxinomie de processus.

Les plus beaux secrets sont ceux qui défient l’histoire.

Une idée incidente se transmet en partie en une pensée réfractée et une autre plus réfléchie.

Avoir conscience de l’ennui n’est pas s’ennuyer.

Le véritable ennui présuppose l’insouciance. 


« Face à la mer, je remâchais des hontes anciennes et récentes. Le ridicule de s'occuper de soi quand on a sous les yeux le plus vaste des spectacles ne m'échappa pas. Aussi ai-je vite changé de sujet. »
Cioran - Ébauches de vertige


Il existe une forme de répétition dans la nuance.

L’éducation des enfants nécessite une attention permanente aux instants. Les parents qui lâchent certains instants prennent le risque de se disqualifier aux yeux de leurs progénitures.
Toute le difficulté d’être parent réside dans le fait de conserver une constante cohérence dans les instants de mêmes niveaux qualitatifs.

Estimer la qualité, c’est mesurer le temps.

Si l’on pense que passer sous une échelle relève de la superstition la plus triviale, nous développons dans notre esprit des stratagèmes beaucoup plus élaborés pour apaiser nos angoisses qui sont une autre forme superstitieuse.

Mais d’où surgit cette violence qui est en nous alors même que nous la répudions chez les autres comme l’acte même de l’intolérable et de l’incompréhensible ?

Toute violence est l’aveu d’une impuissance.

Lorsque la bête se réveille en nous, mieux vaut prendre le chemin de la jungle pour s’y réfugier....et y demeurer.

Les qualités d’un être ne sont que très rarement reconnues sans être mises en perspective avec ses défauts.
Nous avons tendance, malgré nous, à chercher une cohérence dans l’entièreté et l’intégrité d’une personne au regard de ces paramètres en les unifiant, mais il faut s’avouer à soi-même que certaines qualités ne sont que relatives comme il en va de certains défauts. Nos attentes ne sont pas leurs désirs et nos désirs ne correspondent que très rarement à nos attentes.
Pour que des qualités soient en correspondance il faut trouver des personnes qui aient des valeurs communes.

Parler à l’ami c’est se parler à soi-même.

Ce qui compte ce n’est pas la vie éternelle mais l’éternelle vitalité.

Je renonce parfois mais je garde en moi toujours le même but.

Travail de l’inconscient 
Le cerveau est (le seul) un organe qui travaille pour nous sur le plan abstrait, à notre insu, c’est à dire pour notre conscience, à la seule condition de lui apporter de la matière en vue d'une transformation créatrice.

C’est dans la minutie que l’on met à réaliser quelque chose que l’on prouve sa passion.
Les êtres minutieux, attentifs aux détails et précis dans leur geste sont les artisans de l’humanité qui dévoilent aux yeux du monde la vérité sur ce dernier.
Écrivains, paysagiste, poètes, ébénistes, plombiers, peintres, sculpteurs, menuisiers, scientifiques, penseurs, enseignants, cordonniers, philosophes, musiciens, compositeurs, et j’en oublie tant d’autres, nous rendent le monde meilleur, plus beau et avec plus de sens, lorsqu’ils sont dans la rigueur minutieuse, dans l’exercice d’une passion.

Pour prendre conscience de notre liberté il faut avoir conscience des contraintes qui pèsent sur nous.

Il faut être deux pour se mesurer à soi-même !

Il y a des déceptions que nous portons si fort en nous qu’elles transparaissent physiquement hors de nous.

Nos déceptions sont souvent construites à partir d’illusions que nous forgeons et qui par induction nous forgent.

Nos illusions nous bercent jusqu’au retour du refoulé, semant un doute persistant entre une représentation idéale voire idéelle du monde et un lien que nous aimerions qu’il entretienne avec nous. C’est parfois dans ce lien avec nos mirages que s’établit le plus nocif des quiproquos, nous faisant chuter de notre piédestal. Et par le plus grand des miracles nous ressuscitons et retombons dans le même péché fatal où la croyance dans nos illusions est plus réelle que la réalité elle-même. C’est une force qui nous maintient en vie dans une vie qui maintient sa force.

La beauté du monde est la puissance qui fait tenir l’homme d’esprit.

Même si, dans une grande majorité des cas, rien ne ressemble à l’image que nous nous faisons d’une chose, d’une situation, d’une personne, d’un agencement ou d’une histoire dans la mesure où l’imaginaire que nous leur associons n’est jamais en adéquation avec la finesse et l’ensemble des nuances qu’exigent la prise en compte du réel, il existe parfois des jaillissements conformes et adéquats.
Être heureux c’est ressentir cet accord en nous entre une représentation et une réalisation.
L’exemple qui me vient spontanément à l’esprit est le geste artistique. L’écrivain ou le réalisateur pensent en mots ou en images-sons et que font-ils, si ce n’est rechercher cette accord de phase entre leur imaginaire et sa projection sur le papier ou l’écran ? Toute création est une quête asymptotique entre une subjectivité intérieure et sa métamorphose au réel.

Être sensible aux petites manies des êtres que nous apprécions, c’est s’attacher à une forme de charme.

En vieillissant je me rends compte de la nature de l’évidence qui paradoxalement nous échappe. La jeunesse vit dans cette même évidence sans prendre conscience de ce qu’elle représente en réalité.

Le doute est un moteur existentiel lorsqu’il se transforme dans la réalité en une proposition satisfaisante pour nous-mêmes.

Le doute engendre le doute. C’est ainsi que l’on devient un faux sceptique !




L’important ne représente que si peu au regard de nos faits, de nos gestes et de nos paroles dans une heure, une journée, une année ou une vie toute entière. Combien d’entités pures reste-t-il au final ? Nous sommes les sables boueux d’une rivière qui ne contient que quelques pépites et notre fardeau est d’accepter que l’on se perde dans l’inutile et que l’on s’élève dans la beauté et le rare. Vivre c’est apprendre à traverser la pénurie, à filtrer des tonnes de sables sans rien y trouver si ce n’est la seule action que l’espoir fait vivre en nous. Les "garimpeiros" sont les conquistadors de la vie, ils recherchent l’absolu.
La vie n’est qu’une somme de moments « faibles » qui frisent avec le néant de l’insensé, une juxtaposition de répétitions que nous nous imposons et que le monde ou la société nous dictent. Dans cet océan de temporalités il nous faut trouver notre place et lui associer les moments forts, ces poussières aurifères qui hantent le sens de notre existence.