9-Le Parrain I

Séance N°9 : 7 Avril 2016
Le Parrain
F. F. Coppola
1972



A/ ÉTUDE DU FILM
 

  • Commentaire philosophique

Godfather (le parrain en anglais), désigne en principe celui qui présente un enfant devant Dieu le jour de son baptême. De fait, le film commence par un mariage et s’achèvera peu après le baptême du second fils de la mariée. Mais, comme chacun sait depuis le film de Coppola, le « parrain » c’est aussi le chef d’une « famille » bien particulière : une mafia. Don Vito Corleone, joué par Marlon Brando, est le chef de cette famille et c’est une responsabilité qu’il assume avec autorité, intelligence, et un profond sens des convenances. L’ouverture du film sur la fête de mariage qui est l’occasion, selon la tradition sicilienne, de recevoir toutes les demandes d’une oreille bienveillante, nous plonge d’emblée au cœur des rituels et des « valeurs » de ce milieu. A cette grande occasion toutes les familles sont réunies, le cercle de parenté, proche et plus éloigné, et le cercle criminel jusqu’aux « autres grandes familles » concurrentes. On s’amuse, on chante les vieilles chansons siciliennes qui font rire tout le monde, on danse, on boit, on attend pour la photo, tous les ingrédients d’un beau et grand mariage sont réunis. Tout juste perçoit-on quelques notes discordantes, un appareil photo cassé, quelques invités inquiétants, un mari adultère, mais la joie et la bonne humeur dominent. Retranché dans son bureau, recevant ses quémandeurs comme un patrice romain ses clients, Vito Corleone veille au bond ordonnancement de la journée. Il est le chef d’orchestre de cet ensemble qui ne tardera pas à se désaccorder, dés que ses ennemis l’auront gravement blessé. C’est alors son plus jeune fils, Michael, joué par Al Pacino, qui va s’imposer comme le successeur et ceci contre les projets de son père. Le fils aîné Santino, « Sonny », est en effet un impulsif qui tombera dans un piège mortel. Michael, au début du film, est le fils honnête, tenu à l’écart des affaires de la famille, héros de la seconde guerre, son père a de grandes ambitions pour lui, il espère le voir devenir sénateur un jour. Michael est à la fois fort et intelligent, il a les qualités pour réussir hors du crime organisé et faire partie de « ceux qui tirent les ficelles ». La vision du monde de Vito Corleone se révèle ici : le crime pour lui n’est pas une fin en soi, il n’a pas de penchant pour le mal, celui-ci n’est qu’un moyen nécessaire pour parvenir à ses fins quand on ne peut pas faire autrement. Aussi refuse-t-il de faire tuer les violeurs de la fille de Bonasera qui lui demande vengeance. La fin poursuivie est le pouvoir, celui de l’argent bien sûr, mais celui également de la politique et de tout ce qui peut conforter une situation dominante et sûre. Aussi refuse-t-il de s’associer au trafic de drogue, non pas pour des raisons morales mais parce que celui-ci, avec la répression qu’il entraînera, risque fragiliser ses affaires et ses liens avec le milieu politique. Don Corleone n’est pas un sadique ou un psychopathe, il n’a aucun goût pour l’immoralité, mais c’est quelqu’un qui est prêt à tout pour parvenir à ses fins, y compris utiliser la force si la ruse ne suffit pas. Plus proche du « Prince » de Machiavel que du « Joker » de Batman. Don Corleone se soucie de sa famille. Il veut la mettre à l’abri du besoin et à l’abri du danger. C’est ce qui lui importe par-dessus tout. Le « parrain » se vit vraiment comme responsable et protecteur des siens. Il veille aux bonnes manières, on ne parle pas des affaires à table devant les femmes et les enfants, on ne le contredit pas publiquement, tous les enfants viennent un par un lui souhaiter un bon rétablissement. Ce que le parrain nous montre ici, d’une façon spectaculaire, c’est que le respect des codes moraux en usage dans la famille patriarcale et celui des cérémonies religieuses catholiques traditionnelles n’empêche pas le crime. Ainsi Michael fait-il assassiner tous ses ennemis au moment même où il devient le parrain de son neveu, où il répète les phrases sacramentelles du prêtre par lesquelles il assure de « renoncer au mal ». C’est que la « morale » et la « religion » de la famille Corleone correspond en fait à ce que Bergson appelait une morale et une religion « fermée ». Les principes en vigueur ne se soucient pas véritablement du bien et du mal et ne cherchent en aucune façon à promouvoir un progrès dans la conscience et dans l’humanité (ce qui serait l’objectif d’une morale et d’une religion « ouverte »), ils ont avant tout comme fonction d’assurer la cohésion et la loyauté du groupe. Il s’agit d’être soudés pour mieux faire face aux ennemis. Cependant cette morale fermée a ses limites et ses effets pervers. Ces derniers se manifestent dans le basculement de Michael, lui qui affirmait à sa fiancé qu’il ne se confondait pas avec sa famille, se propose pour venger son père en assassinant ses ennemis. L’appel du sang a été le plus fort. Les limites apparaissent tout au long des trois films. Alors même que la loyauté, la fidélité, sont sans cesse réaffirmées comme valeurs suprêmes, la trahison envahit tous les cercles de la famille jusqu’à atteindre son cœur. Alors que la famille est sans cesse présentée comme la fin suprême et la justification de tous les actes commis, celle-ci est peu à peu détruite par l’enchaînement de la violence. La loyauté à la famille exige le sacrifice de ses propres enfants, lorsque ceux-ci trahissent, et elle entraîne ainsi un processus d’autodestruction inéluctable. La religion « fermée »n’offre qu’une mécanique sociale dont on néglige le sens, dont on peut répéter les formules d’une oreille distraite, il en est une pourtant à laquelle il aurait fallu prêter attention : « Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » Evangile selon saint Mathieu, 26, 52.

PF



  • Textes philosophiques

@ « Il naît de cela une dispute, s’il est mieux d’être aimé que craint ou le contraire. On répond qu’il faudrait être l’un et l’autre ; mais parce qu’il est difficile de les accorder ensemble, il est beaucoup plus sûr d’être craint qu’aimé, quand on doit manquer de l’un des deux. Parce que des hommes, on peut généralement dire ceci, qu’ils sont ingrats, inconstants, simulateurs et dissimulateurs, fuyards devant les périls, avides de gains ; et tandis que tu fais leur bien, ils sont tout à toi, ils t’offrent le sang, les biens, la vie et les fils, quand le besoin est éloigné ; mais quand il s’approche de toi, ils se détournent ; et ce prince qui s’est entièrement fondé sur leurs paroles, se trouvant dénué d’autre préparatif, va à sa ruine, parce que les amitiés qui s’acquièrent contre paiement, et non avec la grandeur et la noblesse d’esprit, elles s’achètent, mais ne se possèdent pas et ne peuvent, à l’échéance, être dépensées. Et les hommes offensent avec moins de circonspection quelqu’un qui se fait aimer que quelqu’un qui se fait craindre, parce que l’amour est tenu par un lien d’obligation qui est rompu, les hommes étant mauvais, dès qu’une occasion d’utilité propre se présente, mais la crainte est tenue par une peur de peine qui ne t’abandonne jamais. »


Machiavel, Le prince, chapitre 17.



@ « Il y a deux genres de combats : l’un, avec les lois, l’autre, avec la force : ce premier est propre à l’homme, ce second, aux bêtes. Mais parce que, maintes fois, le premier ne suffit pas, il convient de recourir au second ; par conséquent, il est nécessaire à un prince de savoir bien user de la bête et de l’homme. Cette partie a été enseignée, à mots couverts, aux princes par les écrivains anciens, qui écrivent qu’Achille et de nombreux autres princes anciens furent donnés à élever à Chiron le centaure, qui les instruisit à son école. Avoir pour précepteur, un être mi-bête, mi-homme, cela ne veut rien dire d’autre, sinon qu’il faut qu’un prince sache user de l’une et de l’autre nature, et l’une sans l’autre n’est pas durable.

Étant donc dans la nécessité de savoir bien user de la bête, un prince doit prendre, de celles-ci, le renard et le lion, parce que le lion ne se défend pas des filets, le renard ne se défend pas des loups ; il faut donc être renard pour connaître les filets et lion pour effrayer les loups. Ceux qui s’en tiennent simplement au lion ne s’y entendent pas. Un seigneur prudent, par conséquent, ne peut ni ne doit observer la foi quand une telle observance se retourne contre lui et quand les causes qui la firent promettre ne sont plus. Et si les hommes étaient tous bons, ce précepte ne serait pas bon ; mais parce qu’ils sont mauvais et ne l’observeraient pas envers toi, toi non plus, tu n’as pas à l’observer envers eux ; et jamais ne manquèrent à un prince les causes légitimes pour colorer son inobservance. De cela, on pourrait en donner d’infinis exemples modernes et montrer combien de paix, combien de promesses ont été rendues, par l’infidélité des princes, nulles et vaines. Et celui qui a su mieux user du renard a réussi. Mais il est nécessaire de bien savoir colorer cette nature et d’être grand simulateur et dissimulateur et les hommes sont si simples, et ils obéissent tant aux nécessités présentes que celui qui trompe trouvera toujours quelqu’un qui se laissera tromper. »


Machiavel, Le prince, Chapitre 18.



@ « En fait, quand nous posons que le devoir de respecter la vie et la propriété d’autrui est une exigence fondamentale de la vie sociale, de quelle société parlons-nous ? Pour répondre, il suffit de considérer ce qui se passe en temps de guerre. Le meurtre et le pillage, comme aussi la perfidie, la fraude et le mensonge ne deviennent pas seulement licites ; ils sont méritoires. (…) Nos devoirs sociaux visent la cohésion sociale ; bon gré mal gré, ils nous composent une attitude qui est celle de la discipline devant l’ennemi. C’est dire que l’homme auquel la société fait appel pour le discipliner a beau être enrichi par elle de tout ce qu’elle a acquis pendant des siècles de civilisation, elle a néanmoins besoin de cet instinct primitif qu’elle revêt d’un si épais vernis. Bref, l’instinct social que nous avons aperçu au fond de l’obligation sociale vise toujours – l’instinct étant relativement immuable – une société close, si vaste soit-elle. Il est sans doute recouvert d’une autre morale que par là même il soutient et à laquelle il prête quelque chose de sa force, je veux dire de son caractère impérieux. Mais lui-même ne vise pas l’humanité. C’est qu’entre la nation, si grande soit-elle, et l’humanité, il y a toute la distance du fini à l’indéfini, du clos à l’ouvert. »

Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion.



@ « Quand au titre de raisonnable, on l’a de tout temps accordé à l’homme qui ne se guide pas sur des impressions de l’ordre intuitif, mais sur des pensées et des concepts, et qui doit à cela un air de supériorité, de conséquence, de réflexion dans sa manière de faire. Mais tout cela n’a rien à voir avec la justice ni avec la charité. Au contraire, un homme peut avoir une conduite fort raisonnable, donc réfléchie, circonspecte, conséquente, bien ordonnée, méthodique, tout en suivant les maximes les plus égoïstes, les plus injustes, enfin les plus perverses. Aussi personne avant Kant n’avait songé à identifier une action juste, vertueuse, noble avec une action raisonnable : on les a toujours bien distinguées, séparées. (…) Kant est seul à dire que comme la vertu doit venir de la seule raison, l’être vertueux et l’être raisonnable ne font pas deux ; cela au mépris de l’usage de toutes les langues, usage qui n’est pas un produit du hasard, mais bien de toutes les intelligences en ce qu’elles ont d’humain et par là de concordant. Raisonnable et vicieux sont mots qui peuvent fort bien aller ensemble : bien plus les deux choses unies fortifient l’agent pour le mal. De même la déraison et la générosité peuvent aller de pair : exemple, si je donne à un pauvre aujourd’hui ce dont j’aurai demain plus besoin que lui encore ; si je me laisse aller à prêter à un homme dans l’embarras une somme qu’attend un créancier ; semblables cas ne sont point rares. »


A. Schopenhauer, Le fondement de la morale.



@ « Il est évident, pour commencer, que toute l’idée du bien et du mal est en relation avec le désir. Au premier abord, ce que nous désirons tous est « bon », et ce que nous redoutons tous est « mauvais ». Si nos désirs à tous concordaient, on pourrait en rester là ; mais malheureusement nos désirs s’opposent mutuellement. Si je dis : « Ce que je veux est bon », mon voisin dira : « Non, ce que je veux, moi ». La morale est une tentative (infructueuse, à mon avis) pour échapper à cette subjectivité. Dans ma dispute avec mon voisin, j’essaierai naturellement de montrer que mes désirs ont quelque qualité qui les rend plus dignes de respect que les siens. Si je veux préserver un droit de passage, je ferai appel aux habitants des environs qui ne possèdent pas de terres ; mais lui, de son côté, fera appel aux propriétaires. Je dirai : « A quoi sert la beauté de la campagne si personne ne la voit ? » Il répliquera : « Que restera-t-il de cette beauté si l’on permet aux promeneurs de semer la dévastation ? » chacun tente d’enrôler des alliés, en montrant que ses propres désirs sont en harmonie avec les leurs. Quand c’est visiblement impossible, comme dans le cas d’un cambrioleur, l’individu est condamné par l’opinion publique, et son statut moral est celui du pécheur. »

Bertrand Russell, Science et religion, chapitre IX.




  • Analyse cinématographique dans une perspective philosophique
    • Séquences étudiées 
..........TEXTE EN CONSTRUCTION...........SL 


 
    • Fiche technique du film

Titre : Le Parrain
Titre original : Mario Puzo's The Godfather
Réalisation : Francis Ford Coppola
Scénario : Mario Puzo et Francis Ford Coppola, d'après le roman éponyme de Mario Puzo
Direction artistique : Dean Tavoularis
Costumes : Anna Hill Johnstone
Photographie : Gordon Willis
Montage : William Reynolds et Peter Zinner
Musique : Nino Rota(additionnel : Carmine Coppola pour la scène du mariage), Jean Sébastien Bach Prélude et fugue en Ré majeur (BWV 532) (scène de la série de règlements de comptes concomitante au baptême du neveu de Michael Corleone)
Production : Albert S. Ruddy et Gray Frederickson
Société de production : Paramount Pictures-Alfran Productions
Budget de production : 6 500 000 $
Pays d'origine : États-Unis
Langues : Anglais, italien, sicilien4, latin
Format : Couleurs (Technicolor) - 1,85:1 - Son mono - Format 35 mm
Genre : Drame, gangster
Durée : 175 minutes (2 h 55)5,6
Dates de sortie en salles :
États-Unis :
15 mars 1972 (première à New York)
22 mars 1972 (première à Los Angeles)
24 mars 1972 (sur le reste du territoire)
21 mars 1997 (ressortie)
France : 18 octobre 1972
Le film fut interdit aux moins de 12 ans lors de sa sortie en salles.

Source : Wikipédia 

 

 

   B/ PROGRAMME DE PHILOSOPHIE

  • Notions du programme 
    • La morale
    • La religion
    • La justice et le droit
    • La liberté
    • La société
    • L'état
     
  • Notions philosophiques induites
    • Le pouvoir
    • Les codes sociaux
    • La famille
    • La violence 

  • Sujets de philosophie
    • Sujets possibles : 
      • Toute règle de conduite est-elle bonne à suivre ?
      • Être solidaire, est-ce suffisant pour être moral ?
      • Pratiquer les rituels de la religion, suffit-il pour faire preuve de piété ?
      • Réussir par tous les moyens, est-ce vraiment accomplir sa vie ?
      • Devenir hors-la-loi est-ce gagner en liberté ? 
 
    • Sujet traité avec corrigé :


  • Philosophes concernés 
    • Machiavel
    • Schopenhauer
    • Bergson
    • Russel 


  • Liens avec d'autres films du cycle



C/ TESTS ET EXERCICES 

 

  • Questions de recherches cinématographiques 

  • Questions de culture philosophique
 
    • Dans Le parrain, relève tous les passages qui peuvent illustrer ce que Bergson appelle la « religion fermée » : 
      • .......
      • ........
      • ........ 

    • De la même façon relève tout ce qui correspond à une « morale fermée » : 
      • ......
      • ........
      • ........

    • Peut-on trouver également des attitudes, des paroles, qui correspondraient à une « morale et/ou une religion ouverte » ? Lesquelles :

    • Alain a écrit : « La prière est l’acte irréligieux par excellence. » Propos, 1, p 32. 
      • Que veut-il dire au juste ?

    • Nietzsche a écrit : « Les Épicuriens avaient la plus digne représentation des dieux. (…) « S’il y a des dieux, ils ne se soucient point de nous. » - voilà la seule proposition vraie de toute philosophie de la religion. » Le gai savoir, fragments posthumes, 16 [8].
      • Pourquoi cette proposition épicurienne semble-t-elle si vraie à Nietzsche ? 
      • Essaye de comprendre son raisonnement et d’en imaginer les conséquences ?
      • Pourquoi les dieux ne se soucieraient pas de nous ? 
      • Qu’est-ce que cela implique concernant les religions ?

    • Le parrain montre que l’on peut prétendre être un bon catholique, faire baptiser ses enfants, pratiquer les rituels, et être un criminel. 
      • N’y a-t-il pas pourtant dans les textes sacrés des catholiques des passages interdisant le meurtre et le vol ? 
      • Peux-tu en citer ? 
      • Comment alors expliquer cet écart entre la doctrine et la conduite ?


  • Suggestions et réponses 




     





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Fiche technique :